Rapport scientifique - octobre 2022

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Date de démarrage : 1/01/2020
Date de fin : 28/02/2023
Référence : 2019-COC-109

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Octobre 2022

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Projet cocreate financé par

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Sommaire


I. Les communautés d'énergie comme acteurs de la résilience électrique
Qu’est-ce que Voisins d’Énergie ?
Quelle résilience du système électrique ?
Quel rôle les communautés d'énergie peuvent-elles jouer pour la résilience urbaine ?
Opérationnalisation de la résilience dans VdE
Pour une diversité de communautés d'énergie
L’Échappée
Volta-taqa
Le Coin du Balai
Rencontres des explorateurs
Formations
II. Analyse des données et des expérimentations
Introduction : approche méthodologique
Dynamique et cohésion sociale
Évolution des savoirs et compétences
Importance de la production locale
Périmètre de la communauté d'énergie 
Quelle place accordée au « partage d’énergie » ?
Représentations de la précarité énergétique
Place des aspects économiques
III. Données récoltées par les Flukso
Interface Flukso
Courbes de consommation et production
Résultats des alertes
L’Échappée
Le Coin du Balai
IV. Conclusions
Références

I. Les communautés d'énergie comme acteurs de la résilience électrique

Qu’est-ce que Voisins d’Énergie ?

Tout au long de ses recherches, le projet Voisins d’Énergie (VdE) a poursuivi un objet qui s’est révélé à la fois flou et mouvant : les communautés d’énergie. L’idée que des citoyens peuvent s’organiser localement pour produire et partager de l’énergie a une longue histoire – puisque ce type d’organisation prévalait avant la construction des larges réseaux de production-distribution- consommation du charbon, de l’électricité, du pétrole et du gaz (Jarrige & Vrignon 2020). Mais l’idée est revenue comme alternative, d’abord de manière assez spéculative avec la première vague écologiste des années 1970 (Lovins 1976), ensuite de manière plus concrète, dans des tentatives plus effectives centrées sur des sources renouvelables et décentralisées (Walker & Devine-Wright 2008, Seyfang et al. 2014). L’idée de communauté d’énergie s’est donc progressivement concrétisée depuis une quinzaine d’années, mais dans des configurations extrêmement variées (Lopez et al. 2019), qualifiées d’assemblages tant elles mêlent des éléments matériels, sociaux, techniques, territoriaux, juridiques, etc. (Aubert 2020).

L’objet communauté d’énergie est aussi mouvant car il a été introduit par deux directives européennes (2018 et 2019), traduite en droit bruxellois en avril 2022, donc tout récemment. Cette transposition introduit trois types de communautés d’énergie, qui répondent à des assemblages différents, notamment selon le périmètre (voir plus loin). L’ordonnance bruxelloise instaure aussi un facilitateur pour développer les communautés d’énergie dans la Région, dont le rôle a été dévolu à l’association Energie Commune. Les demandes de constitution de communautés d’énergie affluent auprès du facilitateur (plus de 300) mais le chemin pour chaque communauté est long car il s’agit de se constituer en personne morale et de répondre à une série d’autres critères.

L’ordonnance propose une certaine vision des communautés d'énergie, en phase avec ce que préconise Sibelga (le gestionnaire du réseau de distribution) :
- Accent principalement mis sur le « partage d’énergie » et ses bénéfices économiques, alors que les Directives mentionnent aussi les bénéfices environnementaux et sociaux.
- Les communautés d'énergie sont essentiellement considérées comme de nouveaux acteurs du marché de l’électricité.
- Est rendu obligatoire le déploiement généralisé de compteurs communicants pour calculer chaque quart d’heure le « partage d’énergie » entre les différents membres de la communauté.
- Focalisation sur les immeubles en copropriété (via l’instauration de « communautés d’énergie locales »).

On peut qualifier cette approche de technico-économique, dans laquelle les membres ne se soucient de rien sinon de régler une facture en plus de celle de leur fournisseur. Elle répond à une volonté politique de constituer rapidement les communautés d’énergie afin de permettre le déploiement de panneaux photovoltaïques sur les toitures et ainsi rencontrer les objectifs de la Région en matière d’énergie renouvelable. Un des objectifs de notre recherche est de montrer qu’il peut exister bien d’autres formes de communautés d’énergie que le modèle technico-économique dominant. Notre recherche s’est donc notamment focalisée sur les aspects sociaux de ces groupes et sur d’autres manières de compter les échanges d’énergie entre communautés.
Nous avons résumé l’ordonnance dans la fiche suivante.

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C’est en synthétisant notre recherche et ses résultats que nous pouvons constater combien l’objet communauté d'énergie est flou et mouvant, bien que nous l’avions déjà perçu en formulant au départ une question de recherche générique très large :
Comment des citoyens peuvent-ils s’organiser en communautés d’énergie pour s’approprier la question énergétique et augmenter leur capacité d’agir dans le paysage énergétique bruxellois ?

Quelle résilience du système électrique ?

Lors de la première phase de VdE, nous avons identifié une série de risques qui pèsent sur le système électrique :
- Interruption du transport d’électricité (réseau haute tension), appelé généralement "blackout" :
- Délestage, organisé par l’opérateur du réseau de transport de l’électricité (Elia) en cas de manque de production sur le territoire belge.
- L’augmentation de la consommation d’électricité
- Évolution chaotique des marchés de l'électricité

En résumé les vulnérabilités du système électrique actuel sont liées à de nombreux éléments structurels :
- Demande continue d'électricité. Le système ne peut être mis à l’arrêt car 1) cela occasionnerait des difficultés majeures pour une série d’activités (hôpitaux, sécurité, communication) qui sont devenues dépendantes d’un flux continu d’électricité ; 2) il est difficile de “reconstruire” le réseau électrique une fois “mort” (comme lors d’un blackout).
- Malgré la libéralisation, le système électrique demeure centralisé sans que l’implication des usagers/citoyens soit pensée hors du signal-prix. Or nous pensons que la transformation nécessaire du système ne pourra se faire sans une participation active de ses usagers.
- Le marché est conçu comme moteur du développement du réseau, par opposition à une approche qui considérerait l'électricité comme un bien commun et son accès comme un droit.
- L’évolution du système est pensée par des ingénieurs qui cherchent à l’optimiser en déployant toujours plus d’électronique et de technologies dans des “smart grids” – sans considération de la finitude des ressources métalliques et des impacts des mines sur les populations locales. Ainsi on prévoit de déployer des compteurs communicants, véhicules électriques, batteries… sans parler les panneaux photovoltaïques et de l’électronique associée (ex. onduleur).
- Un élément qui surprend les cochercheurs qui ont des panneaux photovoltaïques : ceux-ci ne fonctionnent plus en cas de coupure de courant car ils ont besoin du signal de 50 Hz du réseau pour pouvoir transformer leur production de courant continu en courant alternatif (nécessaire pour faire marcher les appareils). Autrement dit, l’autonomie complète d’une communauté basée sur des panneaux PV est illusoire – à moins de créer un îlôt en courant continu et avec un stockage important.
- Le réseau électrique de la Région est intégré à un réseau international qui témoignent de multiples dépendances.
- De nombreuses incertitudes concernent l'évolution des politiques énergétiques, comme en témoignent les événements récents. Il n’est pas sûr qu’elles aillent spontanément vers plus de justice sociale. Il existe en effet un risque que des personnes nanties s’organisent en communautés d’énergie (aux frais de tous puisqu’elles bénéficieraient de certificats verts et d’une réduction sur les frais de distribution), tandis que les autres devraient continuer à payer le tarif plein pour leur électricité.

L’approche technico-économique augmente donc les risques car elle augmente les dépendances à des ressources extérieures à la région, et qu’elle ne place pas la justice sociale au cœur de son approche. Nous sommes donc à la recherche d’autres modèles de CdE qui soient plus résilientes. Mais nous constatons la difficulté d’agir sur ce système sociotechnique complexe qu’est le réseau électrique. En ce sens, il faut considérer ses transformations à long terme, en commençant là où on peut, et comprendre que la récente ordonnance est un premier essai qui sera amené à évoluer. Nous nous demandons quels sont les espaces intermédiaires et les interstices face à des institutions et des infrastructures inertielles. Par ailleurs, les villes resteront toujours (partiellement) dépendantes d’apport extérieur en énergie.

Quel rôle les communautés d'énergie peuvent-elles jouer pour la résilience urbaine ?

Le terme résilience est devenu une vraie polyphonie. Elle est utilisée dans des situations très variées et avec des objets tout aussi divers. Après la physique des matériaux, l’écologie, la psychologie, la résilience est partout. Ou plutôt, elle se cherche dans tous les lieux : armées, entreprises, ONU, Banque Mondiale, institutions européennes… (voir document Mycélium). C’est que de l’idée d’une maîtrise, du calcul de risques, de la capacité à orienter une transition, on est passé à un futur nettement moins désirable, à de nombreuses incertitudes, qui obligent à se plonger dans l’oxymore de l’anticipation de l’inattendu, dont l’« effondrement » est une modalité. La résilience va de pair avec catastrophe et désastre. Elle est le symptôme que nous n’avons plus la maîtrise de notre avenir – les plus optimistes diront que nous avons perdu nos illusions modernes.

Suite à la prolifération du terme, diverses critiques ont été faites de la résilience. Outre qu’elle perd de sons sens, elle serait de l’ordre de la résignation : arrêter de vouloir transformer le système qui est la cause des vulnérabilités. La résilience est alors un mot d’ordre pour accepter l’ordre social existant. Il est donc indispensable de repolitiser la question des causes, d’adopter une analyse critique du système que nous analysons et d’envisager des alternatives pour faire exister les possibles. En attendant, il est aussi essentiel de se demander ce qui est dans la capacité des humains et de leurs organisations pour répondre à des perturbations, inévitables.

On peut partir d’une définition générique : la résilience désigne la capacité d’un système socio-écologique à absorber les perturbations (d’origine naturelle ou humaine) de manière équitable, à se transformer et à se remettre en question de manière à combler les besoins fondamentaux de tous les êtres vivants.La pensée systémique permet en effet « de relier des concepts clés incluant la résilience, la capacité adaptative, la transformabilité, les signaux avant-coureurs, les points de basculement, le cycle adaptatif ou encore la panarchie (succession spatiale et temporelle de systèmes socio- écologiques). Le but est d’étudier la façon dont les systèmes changent et réagissent aux perturbations. Ainsi, la pensée de la résilience invite à passer de stratégies qui aspirent à contrôler le changement dans des systèmes aux conditions stables, à des stratégies qui visent l’adaptation au changement dans des systèmes devenus instables » (Carton et al. 2013)

La résilience doit être définie par ce dont on parle : matériau physique, humain capable de surmonter un traumatisme, écosystème, etc. Et le terme même invite à en étudier les réactions face à des chocs ou des perturbations. Le système que nous étudions est le système électrique dans son ensemble, sur base d’une analyse de ses chocs et perturbations possibles. Il est donc normal de porter notre attention aux études sur la résilience des systèmes sociotechniques (qui est une sous-classe des systèmes socio-écologiques).

La résilience est aussi une question d’organisation sociale, de conception du système qu’il faut considérer, ce qui comprend les usages et la dimension sociale. Toutefois, si la résilience est relative à un système, il faut encore choisir l’échelle à laquelle on regarde les phénomènes.

Dans la mesure où l’approvisionnement énergétique des villes se fait essentiellement par des importations, les systèmes urbains sont particulièrement fragiles eu égard aux risques mentionnés ci-dessus. Plusieurs définitions ont été données de la résilience des systèmes énergétiques urbains (Ayyoob Sharifi & Yoshiki Yamagata, 2016). Plusieurs types de résilience ont été identifiés pour ces systèmes : 1) résilience technologique : préservation des fonctions grâce à la robustesse du système et à sa capacité à revenir à un état d’équilibre. Cette résilience est la conception des ingénieurs : faire un système solide qui peut encaisser les coups et revenir à son état initial. 2) Résilience écologique : capacité du système à absorber les perturbations et à revenir à un des états d’équilibre multiples, en préservant les fonctions basiques du système ; 3) résilience adaptative : capacité du système à s’auto-organiser et à se transformer (Wardekker et al., 2010). Étant donné les diverses menaces identifiées et l’impératif climatique, il apparaît qu’il faut se préparer à une résilience de type 3 : « assurer la viabilité du système en réduisant sa vulnérabilité et en augmentant sa capacité adaptative avant, durant et après un événement stressant » (Erker et al., 2017) . Il s’agirait donc d’anticiper et accompagner les chocs pour transformer le système. Notons toutefois que la résilience du système énergétique n’est pas l’objectif principal, mais que le plus important est la résilience du système sociétal. En effet, l’énergie doit être considérée comme un outil permettant d’accomplir des activités dotées de sens.

Le concept même de résilience est transformé par l’exigence du passage à 100% d’énergie d’origine renouvelable . En effet un tel système ne rencontre pas la définition de la sécurité énergétique à savoir un service ininterrompu et illimité. Les sources d’énergie renouvelables sont variables et la fourniture continue d’électricité ne pourrait se faire qu’à un coût très élevé en raison d’infrastructures énormes pour stocker l’énergie et de capacités de production surdimensionnées. Il est donc indispensable d’interroger l’adéquation entre offre et demande d’énergie et de mettre en place des procédures de « flexibilité », à savoir des moyens par lesquels les usagers peuvent déplacer dans le temps leurs pratiques associées à certaines consommations d’énergie. « Ainsi définie, la sécurité énergétique ne consiste pas seulement à sécuriser l'approvisionnement en électricité, mais également à améliorer la résilience de la société, de sorte qu'elle devienne moins dépendante d'un approvisionnement continu en énergie. Cela inclut la résilience des personnes (ont-elles les compétences pour faire des choses sans électricité ?), la résilience des appareils et des systèmes technologiques (peuvent-ils s’adapter à une alimentation électrique intermittente ?), et la résilience des institutions (est-il légal de faire fonctionner un réseau électrique qui n’est pas toujours actif ?). En fonction de la résilience de la société, une interruption de l’alimentation en électricité peut entraîner ou non une perturbation des services énergétiques et des pratiques sociales. » (De Decker, 2018)

Les études sur les systèmes énergétiques urbains montrent qu’une manière d’augmenter la résilience d’un système énergétique est de décentraliser les sources d’énergie et d’utiliser des ressources renouvelables (Molyneaux et al. 2012). De plus, en incluant les énergies renouvelables au mix énergétique d’un système urbain, on diversifie les sources d’énergie et donc on améliore la résilience du système en assurant une plus grande sécurité de l’offre d’énergie (Lu et al. 2018).

Selon cette perspective, nous considérons les CdE comme des espaces qui expérimentent d’autres manières de se rapporter à l’énergie, de transformer progressivement les infrastructures et de faire évoluer les normes sociales qui sous-tendent les usages. Le grand intérêt des CdE est de faire un lien entre production et consommation, aujourd'hui très distendu. Nous constatons que ces communautés sont un bon moyen d’intéresser les usagers à l’électricité, issue d’un système (de plus en plus) compliqué. C’est également le lieu de diverses discussions sur l’usage de l’électricité, condition nécessaire pour interroger la “normalité” des modes actuels de consommation. Ces discussions collectives sont essentielles et nous observons qu’elles prennent beaucoup de temps, notamment lorsqu’il s’agit d’élaborer des expérimentations collectives et de dessiner des modèles alternatifs basés sur de nouvelles normes sociales et techniques.

Opérationnalisation de la résilience dans VdE

Afin de préciser la co-recherche lors de la seconde phase de VdE, nous avons identifié trois axes qui lient la résilience urbaine et les CdE ; tout en permettant de répondre à notre question de recherche générique :
1. Équilibrer le plus possible production et consommation au niveau local. Mais les PV ne peuvent produire que si le système électrique fonctionne… Un certain pragmatisme est donc nécessaire (négocier avec le système électrique est obligatoire).
2. Réduire ses dépendances : apprentissage de la sobriété et de la flexibilité énergétiques sobriété et flexibilité. Comprendre que cette dépendance peut être statique (infrastructures) ou dynamique (flux d’électricité).
3. Développement de la cohésion sociale pour et grâce à l'énergie locale et à la constitution d’un réseau d’entraide et d’échange de savoirs.

Ces axes ont fait l’objet d’expérimentations spécifiques dans chaque CdE qui échangent entre elles et s’inspirent les unes des autres.

Du point de vue de l’électricité, la résilience pose des questions à trois niveaux :
1. Du point de vue du ménage : comment se passer de l’électricité ? Que peut-on faire sans électricité ? Radicalisation de la « réduction de consommation » selon une norme du suffisant.
2. Du point de vue des technologies : les appareils et les systèmes matériels peuvent-ils s’adapter à une alimentation électrique intermittente ? Radicalisation de l’autoproduction et de l’autoconsommation collectives.
3. Du point de vue de l’organisation des rythmes sociaux : peut-on adapter ses pratiques à l’électricité disponible, variable mais prévisible quelques jours à l’avance ? Radicalisation de la recherche de flexibilité.
Or, il est pour l’instant très difficile d’amener les explorateurs vers des expérimentations radicales. C’est en cela que nous avons un problème avec la résilience.

Tout au long de la recherche, nous avons retravaillé les diverses interrogations qui nous animaient lorsque nous étions plongés dans une communauté d'énergie (CdE) et auxquelles nous espérions pouvoir apporter des éléments de réponse :
- Quels sont les éléments constitutifs de la CdE et leurs relations ?
- Quels sont les avantages sociaux générés par le développement de la CdE ?
- Quels sont les éléments et processus qui favorisent ou freinent l'émergence des CdE ?
- Comment mobiliser des habitants d'un quartier de manière inclusive ?
- Pour quelles raisons les participants veulent-ils « partager » l’énergie ?
- Quels sont les modèles alternatifs d'autoconsommation collective envisagés par les CdE ?
- Quels savoirs et compétences sont acquis, par qui et pour quoi, lors de la participation à une CdE ?
- Comment la flexibilité des usages est-elle envisagée dans la CdE aux niveaux collectif et individuel ?
- Comment la sobriété des usages est-elle envisagée dans la CdE aux niveaux collectif et individuel ?
- Qu'est ce qui favorise l'installation de PV ? Quel périmètre ? Qu'est-ce qui est possible ?
- Quelles sont les parties prenantes pour chacune des CdE
- Comment les participants aux CdE perçoivent-ils les relations de pouvoir et rapport de force au sein du système énergétique ?

Toutefois le projet a rencontré de multiples difficultés qui ont considérablement ralenti son rythme d’avancement prévu : confinements, rupture dans l’approvisionnement des Fluksos, absences diverses au sein du consortium, l'actualité énergétique qui nous a obligé à adapter notre programme pour répondre aux questions des cochercheurs, le processus de renouvellement pour la seconde phase, l'intégration de 2 nouveaux partenaires dans VdE… Ces nombreuses difficultés auxquelles a fait face le projet et l’ensemble des partenaires et cochercheurs empêchent malheureusement d’apporter tous les éléments de réponse que nous avions espérés. Néanmoins, nous sommes en mesure d’indiquer diverses manières dont les communautés d'énergie peuvent se constituer, les formes de cohésion sociale qui s’en dégagent, les connaissances et compétences nécessaires à leur développement, le périmètre qui semble approprié pour une CdE, la manière dont les citoyens sont capables de se montrer sobres et flexibles, etc.

Pour une diversité de communautés d'énergie

Sur les six communautés d'énergie de départ, trois ont disparu de VdE :
- La Pile
- L’Institut Sainte-Anne
- Volt’Face

La Pile, portée dans la première phase par City-mine(d), a entre-autre donné naissance à la première communauté d’énergie légale dans une SISP : SunSud au sein des Foyers du Sud. En effet, City-mine(d) s’était orienté vers l’accompagnement de projet et a favorisé la dimension « action » de la recherche avec comme avantage l’existence bien réelle de cette CdE.

L’Institut Sainte-Anne à Etterbeek a développé son projet de partage d’électricité avec un traiteur du quartier. Il a été momentanément bloqué par le SPF finance qui voulait s’assurer que la mise à disposition gratuite de l’électricité n’est pas une concurrence déloyale. Ce problème a été levé grâce entre autres à l’accompagnement du facilitateur, Energie Commune. Mais aussi en renonçant au troc initialement envisagé (de l’électricité contre le buffet de la fête de fin d’année). En effet, l’administration exigeait de quantifier l’échange économique afin de pouvoir le taxer. Aux dernières nouvelles, le projet attendait encore la finalisation du formulaire de déclaration de Sibelga, nécessaire pour le partage pair-à-pair, pour pouvoir démarrer. Nous constatons dans ce cas aussi que le partenaire de la première phase s’est orienté davantage vers l’accompagnement de projet, et ce avec succès. Le cas de cette CdE est sans doute le plus simple qu’on puisse envisager puisqu’il comprend un producteur (l’école) et un consommateur (le traiteur).

Enfin, Volt’face a connu un désengagement de cochercheurs moteurs de cette CdE. Cependant, nous voulions donner suite à l’enquête réalisée en 2021 par 6 étudiants de l’ULB (103 répondants) dans le cadre du projet qui avait suscité un intérêt certain de 53 habitants de la commune de Watermael-Boitsfort. L’expérimentation pour nous consistait à réunir les personnes intéressées, à leur présenter le potentiel des communautés d'énergie, comment elles pourraient fonctionner et à comprendre les intérêts exprimés. Vu notre implication dans les autres communautés d'énergie, nous n’avions pas l’intention de faire un accompagnement approfondi, mais plutôt de donner les outils nécessaires à la constitution de communautés (notamment via notre wiki) et d’autonomiser le plus possible les citoyens. Nous avons organisé une réunion en ligne le 10 mars 2022. Le faible taux de participation et le manque de feedbacks positifs ne nous a pas permis de poursuivre.

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VdE s’est donc concentré sur le travail avec les cochercheurs des trois CdE que sont L’Echappée, Volta-taqa et le Coin du Balai (en rouge sur le plan suivant).

 

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L’Échappée

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L’Echappée est un habitat groupé composé de 18 ménages (familles, couples, célibataires) à Laeken. Le bâtiment a vu le jour en 2015 et les habitants y sont installés depuis 2017. Les habitants (surnommés Echappistes) se connaissent particulièrement bien. Le partage d’espaces communs (buanderie, salle polyvalente, chambre d’amis commune, jardin, etc.), l’organisation d’assemblées générales ainsi que l’organisation des journées « MINGA » (journées dédiées aux travaux collectifs) enrichissent les dynamiques sociales au sein de l’habitat groupé. L’équilibre entre espaces privés et communs, l’importance des dynamiques sociales et les préoccupations environnementales sont au cœur de leur projet. Une partie du toit de l’habitat groupé est dotée de panneaux photovoltaïques (15 kWc) et alimente en électricité les parties communes de l'Échappée.

Le quartier dans lequel s’implante l’Échappée est socialement mixte et il jouit d’un tissu associatif fort. Outre l’Echappée, il existe de nombreuses installations de production d’électricité dans le quartier. Parmi ces acteurs producteurs, nous retrouvons : Tivoli, GreenBizz, Be Here, boulevard Bockstael, la piscine de Laeken, … en plus des particuliers.

De nombreuses réflexions et de nombreux échanges ont permis de définir les expérimentations de l’Echappée. Depuis le début du projet, on compte une vingtaine de réunions, en plus des rencontres informelles. Ces rencontres réunissaient, la plupart du temps, une petite dizaine de cochercheurs, mais ce nombre pouvait atteindre la vingtaine pour certaines réunions.

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1ère expérimentation :
La première expérimentation (2020) consistait à prioriser les usages électriques et s’inscrivait dans une perspective de sobriété énergétique et de réponse à un risque de baisse d’approvisionnement électrique.

Cette expérimentation consistait, entre autres, à déterminer quels usages de l’électricité étaient « indispensables », « utiles » ou « confortables » afin de prioriser ceux-ci. Cela visait une meilleure compréhension des consommations électriques et permettait d’identifier quels usages pourraient être effacés lors d’un effort collectif de réduction de la consommation. L’expérimentation s’est déroulée comme suit :
1. Remplir un tableau des consommations afin de capter les perceptions de la consommation (estimation de la consommation des appareils, heures d’utilisation, priorisation (indispensable, utile, confortable), déplacement de la consommation, alternative à l’utilisation d’électricité) ;
2. Mesurer les consommations réelles avec des wattmètres et les confronter aux estimations ;
3. Réflexion collective autour des résultats.

L’issue de cette expérimentation a été la décision de ne pas se baser sur des critères subjectifs pour fournir un effort collectif de baisse de consommation électrique. Il a aussi été décidé que chaque ménage est libre de réduire sa consommation comme il l’entend et qu’il n’y aurait pas de contrôle sur les consommations des uns et des autres.

2e expérimentation :
Cette seconde expérimentation (depuis avril 2022), qui fait suite à la première, consiste à simuler une baisse d’approvisionnement d’électricité via un signal d’alerte envoyé par SMS aux Echappistes. Les cochercheurs sont invités, lorsqu’ils reçoivent le SMS, a baissé au maximum et dans la mesure du possible leur consommation électrique. Des Flukso (compteurs communicants) ont été installés chez 17 des 18 ménages (une personne ne souhaitant pas participer) qui relèvent les données de consommation et les transfèrent à un serveur de l’ULB. Trois autres Flukso ont également été installés dans les communs de l’habitat groupé. En plus des données quantitatives récoltées grâce aux Flukso, un questionnaire en ligne a été mis en place afin que les participants partagent leur vécu de l’expérimentation après chaque signal d’alerte, qu’ils aient été présents ou non.

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Planning de l'expérimentation “signal d’alerte”

 

 


Les signaux ont été envoyés à différentes heures et à différents jours de la semaine. Dans une première phase, la simulation durait 3 heures et dans une seconde phase, celle-ci durait 6 heures.

Cette expérimentation permet de comprendre les capacités de sobriété énergétique sur une durée donnée, mais aussi les capacités de flexibilité énergétique de citoyens auxquels on demande de fournir un effort de diminution de la consommation électrique. La sobriété et la flexibilité sont sollicitées car certains usages électriques sont effacés et d’autres sont déplacés.

Autres expérimentations/explorations :
Dans un premier temps, l’idée de partager les surplus de production de leur installation photovoltaïque intéressaient beaucoup les Echappistes. Ils trouvaient intéressant de pouvoir « utiliser » l’électricité comme vecteur de lien social et ainsi renforcer la dynamique sociale du quartier. Après réflexion, les Echappistes en sont venu à la conclusion qu’ils n’avaient pas assez de surplus à proposer, d’autant plus au vu des nombreuses installations déjà présentes dans le quartier. Il s’agissait ici d’explorer les possibilités de partage d’électricité vers l’extérieur de l’Echappée.

Une autre idée avait vu le jour mais n’a, à l’heure actuelle, pas encore été concrétisée. Il s’agit d’un signal prévisionnel qui prédit la production photovoltaïque sur base de données météorologiques. Cette expérimentation concerne davantage la flexibilité énergétique et l’amélioration de l’autoconsommation collective. Nous sommes actuellement en attente du développement de l’application qui permettrait à ce signal prévisionnel d’être opérationnel.

Réunions :
Depuis février 2022, quatre réunions ont eu lieu à l’Echappée. Ces réunions ont principalement concerné les expérimentations et leur réadaptation en fonction de l’expérience des cochercheurs. La dernière réunion, qui a eu lieu en août, a davantage concerné la co-anlayse des résultats, l’annonce de focus group et d’entretiens semi-directif, l’invitation à la 8ème rencontre des explorateurs et des discussions autour de la constitution légale d’une communauté d’énergie à l’Echappée.

Volta-taqa

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Tout comme à l’Echappée, c’est un long travail d’échange et de réflexion qui a permis de définir les expérimentations au sein de cette communauté d’énergie émergente.
Volta-taqa (« taqa » signifiant énergie en arabe) est un groupe d’habitants du quartier Boondael (sous le cimetière d’Ixelles). Ne regroupant en 2019 que quatre ou cinq habitants et l’ASBL Energy4Commons, le groupe d’habitants s’est ensuite élargi à travers les différents projets auxquels il a participé: ElectriEfficiency (financement Inspirons le Quartier de Bruxelles-Environnement) et par les ateliers encadrés par Luce Doriaux, du Centre d’Appui SocialEnergie de la Fédération des Services Sociaux avec la collaboration de l’IGEAT (pour le projet Voisins d'Énergie) et d’Energy4Commons (qui ne faisait pas encore partie du consortium du projet). C’est en avril 2021 que le groupe Volta-taqa, via ces ateliers, est né. Durant l’année 2021 et pendant un an, le groupe s’est réuni autour de thématiques liées à l’énergie. Ces ateliers thématiques ont eu pour objectif de fédérer les cochercheurs autour de la question énergétique.

Fin de l’une des visites historique du quartier Boondael sous le prisme de l’électrification

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Ce groupe est composé en majorité de locataires de la SISP (Société Immobilière de Service Public) BinHôme, certains en situation de précarité énergétique. La plupart des membres se connaissaient déjà en dehors du groupe Volta-taqa. Cela dit, un grand travail de mobilisation a été nécessaire afin d’étendre le groupe à sa taille actuelle (une vingtaine de participants).

Le quartier Boondael est socialement et culturellement très mixte. Certains logements gérés par la SISP sont des maisons familiales et d’autres sont des immeubles à appartements, le tout mêlés à des habitations privées. Le tissu social est assez dense et la vie associative est importante dans le quartier. De nombreuses cultures se croisent et s’investissent dans les différentes activités citoyennes du quartier.

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Au sein même des logements sociaux, une enquête réalisée par Thierry Kochuyt « Le baromètre Boondael » a pu mettre en avant l’état des lieux de la précarité énergétique dans ces logements. La situation est particulièrement critique en comparaison au reste de Bruxelles.

Carte participative réalisée lors de l’Expo Boondael du 7 au 11 juin 2022

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Expérimentations
Au printemps 2022, des réflexions ont été engagées autour de la réalisation d’expérimentations. Toujours dans l’idée de fédérer les cochercheurs, de nourrir les liens qui les unissent et d’entretenir la confiance entre les membres, des travaux en sous-groupes ont été mis en place afin d’organiser des visites historiques du quartier (sous le prisme de l’énergie) ; d’organiser une exposition sur l’histoire du quartier, le projet, Volta-taqa et les pistes d’expérimentation ; et d’engager des réflexions spécifiques aux expérimentations à venir.
Atelier “expérimentations” de clôture de l’Expo Boondael en présence de Natalie Nicaise, Directrice de BinHôme

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Atelier “expérimentations” de clôture de l’Expo Boondael avec la participation de Natalie Nicaise, Directrice de BinHôme

 

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Une fois ces évènements menés à bien, l’idée d’une expérimentation s’est faite plus concrète : constituer une communauté d’énergie en collaboration horizontale entre des locataires de logements sociaux et le propriétaire de ces logements (la SISP) à la fois pour l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion du projet. La constitution de cette communauté d’énergie s’accompagne de la réalisation de projets collectifs de solidarité électrique. Ainsi, les habitants ont élaboré trois projets jusqu’à présent : des vélos cargo partagés (mutualisation d’un moyen de transport électrique et aide aux personnes), une cuisine solidaire et des espaces extérieurs éclairés afin de créer des endroits de rencontre pour les plus jeunes du quartier. Cette manière de travailler apporte une dimension inédite à la communauté d’énergie. Par ces projets, une plus-value à finalité sociale apporte une dimension rarement exploitée au sein des communautés d’énergie et surtout absente de l’approche de la question par l’ordonnance.


Facilitation visuelle de l’atelier du 19 juillet 2022

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Tout le travail qui a été effectué a été compilé dans un dossier provisoire remis à la SISP BinHôme. Une fois que le dossier final aura été rendu (octobre 2022), la collaboration entre BinHôme et les habitants pourra prendre des proportions plus concrètes, avec notamment, la participation d’un des travailleurs de BinHôme aux ateliers (Pierre Chicot, responsable énergie).

A l’heure actuelle, aucun panneau photovoltaïque n’a été installé sur les toits des bâtiments de BinHôme. La volonté claire de la direction est d’installer un maximum de panneaux photovoltaïques afin de constituer des communautés d’énergie. Le projet Volta-taqa servira donc d’exemple pour d’autres projets concernant des groupes d’habitants de l’ensemble de la SISP.

Outre les bâtiments de la SISP, il existe déjà des dispositifs de production d’électricité dans le quartier, notamment sur les toits de bâtiments publics. A l’avenir, une communauté d’énergie qui s’étend au-delà des bâtiments de BinHôme pourra être envisagée.

Synthèse du projet Volta-taqa réalisé lors de la 8e rencontre des explorateurs, le 8/09/2022

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Le Coin du Balai

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Le Coin du Balai est un quartier enclavé dans la forêt de Soignes, à Watermael-Boitsfort. Le groupe est constitué d’habitants du quartier. Au départ, il s’agit d’un noyau dur composé de trois habitants : Claude, David et Geneviève, tous les trois déjà très actifs au sein des initiatives locales. Au fur et à mesure, d’autres habitants ont été mobilisés. Aujourd’hui, le noyau dur compte une petite dizaine de personnes et le nombre total de participants s’élève à une soixantaine de ménages, où les niveaux d’investissement divergent d’un ménage à l’autre. Nous pouvons donc distinguer les cochercheurs impliqués à chaque étape de la recherche et les explorateurs, participants aux expérimentations et ponctuellement à l’une ou l’autre réunion.

Le Coin du Balai est un quartier résidentiel avec de petites ou très petites maisons où le vivre ensemble est important. Un comité rassemble une vingtaine d’activités écologiques, sociales et festives, ce qui rend la dynamique sociale du quartier riche. Ce quartier est également socialement mixte, il réunit des propriétaires et locataires de logements privés mais aussi des locataires de logements sociaux. En termes d’installation photovoltaïque, de nombreux panneaux solaires sont déjà présents dans le quartier, dont chez certains cochercheurs et explorateurs.

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Expérimentations
Les explorateurs de la communauté d’énergie du Coin du Balai, dans une perspective de résilience, c'est-à-dire d’un besoin d’adaptation face à une situation de choc dans le système électrique bruxellois, ont réfléchi à la mise en place d’une expérimentation qui simulerait une situation de perturbation de l’approvisionnement électrique et d’un risque de coupure d’électricité et ceci afin d’observer, de comprendre et d’analyser la réaction de consommation des habitants du Coin du Balai face à cette situation exceptionnelle. En d’autres termes, les explorateurs de la communauté d’énergie voudraient analyser la flexibilité des ménages face à la menace de limitation d'approvisionnement électrique au sein d'une portion du quartier du Coin du Balai.

Tout comme à l’Échappée, cette expérimentation prend la forme d’un signal d’alerte envoyé aux cochercheurs, qui sont invités à réduire leur consommation d’électricité.

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Les cochercheurs se sont réunis 9 fois depuis septembre 2021.

Les objectifs des premières réunions étaient les suivants:
- élaboration, usage et feedback sur le wiki (https://wiki.voisinsenergie.agorakit.org/) ainsi que du forum VdE (https://voisinsenergie.agorakit.org/groups) ;
- Compréhension de l’interface Flukso (https://www.flukso.net) et compréhension et feeback sur l’interface de l’ULB (https://iridia-vde.ulb.ac.be) ;
- Organiser des permanences pour répondre aux questions techniques des explorateurs ;
- finaliser le design des expérimentations;
- préparer une réunion publique destinée au quartier pour informer les habitants du quartier à propos de VdE et des expérimentations et accueillir de nouveaux explorateurs dans le projet.

La réunion publique a eu lieu le 14 décembre 2021 à l’Ecole de la Sapinière dans le quartier. Cependant, en raison de la situation sanitaire, seuls les partenaires, cochercheurs principaux et intervenants étaient en présentiel. L’événement a réuni plus de 60 habitants du quartier qui nous ont rejoint en visioconférence.
La mobilisation de nouveaux habitants et l’installation de Flukso a continué de manière intensive en février et mars 2022. Au total, ce sont 60 ménages/bureaux/magasins qui sont équipés de Flukso au Coin du Balai avant le démarrage des alertes.

Les réunions suivantes ont permis de continuer à éclaircir les questions autour de l’installation des Flukso, de finaliser le design des expérimentations, de régulièrement faire le point sur les alertes et de partager les expériences en collectif. Ainsi, il a été décidé de prévenir les explorateurs 24h à l’avance, de prolonger la durée des alertes de 2 heures à 3 heures à partir de juillet 2022.

Enfin, les dernières réunion (août et septembre) ainsis que la 8e rencontre des explorateurs a porté sur la co-analyse des premiers résultats des données de production et de consommation électriques individuelles et collectives (par clusers) transmises par les Flukso et traitée dans la base de donnée spécialement créée pour le projet à l’ULB.

Par la suite, l'intention des cochercheurs est de consolider la cohésion du groupe, renforcer leurs compétences techniques, gagner en autonomie vis-à-vis des partenaires VdE et de constituer une CdE légale à l’échelle du quartier, en commençant probablement par le sous-quartier alimenté par la cabine basse tension du Rouge-Gorge.

Rencontres des explorateurs

Depuis septembre 2021, 3 rencontres des explorateurs ont été organisées.

La 6e rencontre des explorateurs du 22 février 2022, à L’Echappée (Laeken)
C’est donc les échappistes qui ont accueilli cette 6e rencontre. Elle a rassemblé 25 cochercheurs en présentiel et 5 en ligne.
Elle a permis des échanges sur les expérimentations de manière transversale aux CdE et d’autre part de développer les 3 axes de recherches. Le rapport de cette rencontre se trouve en annexe.

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Le 7e rencontre du 9 juin 2022, à Boondael au Resto Club

Les voltataquistes étaient fiers de pouvoir accueillir cette 7e rencontre. Malheureusement, pour des raisons diverses, les cochercheurs les plus impliqués des 2 autres CdE n’ont pu se libérer. Les 25 cochercheurs présents se sont penchés sur le questionnaire “enquête générale VdE” afin d’apporter à l’équipe VdE un feedback et d’ajuster au mieux le questionnaire en fonction de manière collective. Ce travail a été réalisé en trois sous-groupes.

Ce fut aussi l’occasion de recueillir les idées, attentes, besoins en termes de valorisation du projet.

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La 8e rencontre des explorateurs du 22 février 2022, à L’Echappée (Laeken)
Ce sont les cochercheurs du Coin du Balai qui ont été les hôtes de cette dernière rencontre.
Elle portait sur les objectifs suivants:
● La co-analyse des données
    - Questionnaires post-alertes
    - Enquêtes VdE
    - Données quantitatives
● Volta-Taqa : le point sur le dossier CdE et échange lors des moments informels
● Identification de ce que l’on veut mettre en avant dans le rapport scientifique
● Ecoute du vécu des exploiteurs après 2 ans et 8 mois de co-recherche
● Introduction du plan de valorisation et de clôture

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Formations

Pendant la période septembre 2021 - août 2022, 4 formations ont été demandées par les cochercheurs et préparées:
🔌Formation-éclair n°9 : “Prix de l'électricité et géopolitique de l'énergie" - 7/12/2021. C’est le Professeur Adel El Gammal (ULB - Ecole polytechnique de Bruxelles) qui a été invité à cette occasion.
🔌Formation-éclair n°10 : "Les transitions énergétique, citoyenneté et pauvreté" - 20/01/2022. Présentation par Marie-Charlotte Noel, cochercheuse VdE, chercheuse à l’IGEAT.
🔌Formation-éclair n°11 : "améliorer l'autoconsommation collective" - 8 février 2022 de 20h à 21h en ligne via Zoom. Intervenant : François Bordes, fondateur de WeSmart.
🔌Formation-éclair n°12 : "L’installation de panneaux photovoltaïques" - jeudi 21 avril de 20h à 21h en ligne via Zoom. Cette formation-éclair a été présentée par Jimmy SAUDOYER, conseiller pour Homegrade.

Lien vers les vidéo des formations-éclairs et les présentations : https://voisinsenergie.agorakit.org/groups/6/discussions/2.

II. Analyse des données et des expérimentations

 
Introduction : approche méthodologique

Tout au long de la recherche nous avons documenté les conversations dans les différentes communautés, que nous avons complétées par des entretiens et un questionnaire co-construit avec les cochercheurs (appelé “enquête générale”). Les réponses au questionnaire étant partielles, nous les avons complétées avec nos observations documentées et des discussions de groupe. Outre ces données qualitatives (discussions, échanges informels, entretiens, questionnaire, parfois consignées dans les PV…), nous avons amassé un grand nombre de données quantitatives via les Flukso. Cet ensemble de données nous permettent de répondre aux questions de recherche sur la cohésion sociale et la transformation des pratiques qui sous-tendent la consommation d’électricité. L’axe de recherche concernant la production n’a pu être développé en raison d’une défaillance du partenaire BinHôme.

Dans la suite nous ne reprenons pas explicitement les questions de recherche, mais y répondons de manière thématique afin de faire dialoguer des données quantitatives et qualitatives entre elles. Comme lors de la première phase, nous avons adopté une démarche comparative qui cherche les similitudes et différences entre les CdE afin d’en révéler les spécificités et donner des indications sur les facteurs en jeu. Notre méthodologie repose sur la comparaison des communautés d'énergie selon des échelles situées entre deux pôles : résilience/dépendance, ressemblance/complémentarité, etc.

La première polarité s’appuie sur autonomie et dépendance. L’autonomie désigne la capacité de la communauté à instaurer des liens cohérents entre ses diverses entités (production, consommation, personnes, contrat écrit ou moral, autogestion..) et créer ainsi un assemblage plus ou moins robuste aux aléas extérieurs qui lui confère une capacité d’agir propre. A l’inverse, la dépendance signale une série de relations extérieures sur lesquelles la communauté s’appuie et dont elle dépend.

Par exemple, si l’on compare le cas de St Anne avec celui de Volta-taqa on observe deux choses. D’abord, que le niveau d’autonomie de la CdE St Anne s’appuie sur un modèle simplifié d’un producteur et un consommateur ce qui permet une autonomie de production et de consommation assez importante. Tandis que pour Volta-taqa, qui s’inscrit dans une tout autre configuration où l’on retrouve une SISP et des locataires, le degré d’autonomie est plus faible dès lors que plusieurs aspects dépendent de décisions d’entités extérieures (par exemple SLRB). Puis, la deuxième observation est que le degré d’autonomie de chaque CdE évolue et n’est pas figée. Pour le cas de Volta-taqa alors qu’en 2021 son autonomie semblait réduite, au fil des mois la capacité d’organisation et d’action concrète de Volta-taqa a évolué grâce à l’approfondissement des liens de collaboration avec la direction de BinHôme entre autres.

Cette première polarité permet donc de comparer les CdE entre elles mais aussi de relever les évolutions inhérentes à chacune en termes d’autonomie.

Autonomie                 <----------->            Dépendance

L’aboutissement du projet de partage d’électricité de la CdE Institut Sainte-Anne est attribuable à la complémentarité des partenaires, une école et un traiteur local qui a besoin d’énergie au moment où l’école ne consomme pas (weekends et périodes de vacances). La diversité des fonctions urbaines peut donc être un atout pour la constitution d’un CdE. Le caractère monofonctionnel de certains quartiers résidentiels, par contre, peut poser un problème car tous les ménages connaissent des besoins comparables qui se présentent aux mêmes moments, ce qui complique le partage du surplus. Si on s’inspire de Durkheim, on peut monter ici une échelle avec une solidarité mécanique qui se base sur la ressemblance et une solidarité organique basée sur la complémentarité des besoins énergétiques.

 

Ressemblance besoins énergétiques    <----------->    Complémentarité besoins énergétiques

Les différences socio-économiques et culturelles peuvent aussi troubler la collaboration énergétique. Dans les quartiers où travaille la Pile (St. Gilles) la multiculturalité des habitants complique considérablement la constitution de la communauté tandis que l’Échappée opère dans un environnement plus homogène, ce qui facilite la collaboration.

Profil différent   <------------->    Profil semblable

Une communauté d’énergie n’est pas seulement une collaboration bénéfique aux individus, elle est aussi une communauté de sens où les participants partagent des idées, des idéaux et des valeurs. A eux donc de développer une rationalité sous-jacente qui rassemble (ou divise éventuellement) les esprits. Avec Weber, on peut distinguer une rationalité en valeur et une rationalité en finalité. La dernière raisonne selon les coûts et bénéfices, des calculs économiques qui se désengagent si la collaboration énergétique n’est pas profitable. De l’autre côté nous retrouvons une rationalité en valeur qui s’engage pour la bonne cause, une quête morale donc qui est éventuellement prête à faire des sacrifices.

Rationalité en finalité     <-------->      Rationalité en valeur

Évidemment, ce sont des idéaux-types qui sur le terrain ne sont jamais purs et peuvent s’hybrider. Il est bien possible qu’au sein d’un seul projet plusieurs participants collaborent selon différents types de rationalité. Quoi qu’il en soit, les échelles ainsi définies nous permettent de focaliser notre regard sur les tensions qui accompagnent la constitution des communautés d’énergie.
Au fur et à mesure que le travail de terrain avance, de nouvelles dimensions pourront émergent, ce qui permet de combiner de manière analytique plusieurs dimensions afin de créer une cartographie multidimensionnelle de la constitution de chaque communauté d’énergie.

La résilience du système électrique passe par une diminution de la consommation (sobriété) mais aussi par une adaptation de ses usages à l’électricité disponible (flexibilité). Or plus on est sobre, moins on est flexible car on a moins de consommations à déplacer. La sobriété repose sur une transformation des pratiques pour ne pas utiliser tel ou tel appareil de manière permanente ou récurrente. A l’inverse, la flexibilité signifie de modifier l’ordre de ses pratiques (quand c’est possible) sans garantie de réduction de la consommation au final. La sobriété repose sur une hiérarchisation des besoins, qui peut être différente d’un ménage à l’autre. La flexibilité nécessite une présence à domicile pour démarrer les appareils lorsque le soleil brille. Par conséquent, les capacités de sobriété et de flexibilité ne sont pas les mêmes pour tous les ménages, et sont même parfois opposées. La question est alors de savoir si le niveau communautaire permet d’accroître sobriété (par une modification des normes sociales) et flexibilité (par une organisation alternative).

Sobriété     <-------->   Flexibilité

Le tableau ci-après réunit les différents types de collecte de données mises en place selon les calendriers fixés.

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Dynamique et cohésion sociale

L’axe de recherche concernant la cohésion sociale, qui alimente en grande partie les réflexions autour des dynamiques sociales dans les CdE, part d’une problématique centrale qui est celle de comprendre quelles sont les dynamiques sociales inhérentes à l’engagement individuel et collectif dans un processus d’exploration de communautés d’énergie citoyennes et innovantes.

Dès lors, plusieurs objectifs sont poursuivis par l’axe de recherche cohésion sociale :
- Identifier les rapports sociaux présents au sein des différentes communautés d’énergies ;
- Comprendre les motivations et les valeurs qui accompagnent l’engagement des habitant ;
- Interroger l’impact de telles initiatives citoyennes sur le quartier.

Pour ce faire, le volet cohésion social s’appuie sur un cadre théorique offrant des éléments conceptuels pertinents d’analyse. Dans le cadre de la présente analyse, le choix théorique a porté sur les travaux de Karl Polanyi et de Mauss. Ces deux auteurs nous offrent des outils conceptuels pour analyser les dimensions économiques, sociales et politiques qui façonnent les CdE, particulièrement celles présentes sur le territoire bruxellois.

De manière analytique Polanyi (1944) distingue 4 cercles d’intégration économique : le marché, l’économie politique, la réciprocité et l’auto-suffisance. Commençons d’abord avec le marché libre qui est devenu le système dominant depuis le 18e siècle. Il intègre les interactions sociales sur base de l’offre et de la demande et les participants y cherchent chacun leurs propres profits. Les relations sociales restent opportunistes et changent selon l’évolution des prix. Chacun est libre de penser à ses propres intérêts et les échanges utilitaristes qui en résultent restent sans engagement. Avant cette hégémonie du marché, l’économie était fortement façonnée par une logique centralisée où une autorité politique quelconque intègre les relations sociales sur base de l’appartenance. Les membres de la communauté participent à un fond commun qui est redistribué pour renforcer l’État et l’unité de la communauté. Une forme de solidarité donc, mais qui exclut forcément les non-membres. Si nous actualisons cette distinction, nous y reconnaissons l’économie de marché et la solidarité de l’État-providence qui, pour corriger les dérives du marché capitaliste, s’est développée depuis la fin de la 2e guerre mondiale. Il faut bien dire que dans le secteur énergétique, la logique prédominante était longtemps étatique : dans l’intérêt du pays et de son industrie, les gouvernements géraient de près le charbon, gaz, pétrole, électricité, etc. C’est seulement depuis les années 1980 que le marché libre s’est introduit dans le secteur énergétique.

Depuis quelque temps de nouvelles technologies – panneaux photovoltaïques et autres – se développent et permettent aux gens de ne plus seulement être des consommateurs passifs mais de passer également à la production active de l’énergie. Ainsi ils peuvent partager leur surproduction et créer des CdE. L’opposition entre consommateur et producteur qui marque le marché disparaît et cède sa place à une « consommation collaborative » qui n’est pas seulement motivée par les intérêts individuels des participants. La solidarité, le partage et l’appartenance à des communautés en voie de développement entrent aussi en jeu. En plus, cette possibilité de devenir « pro-sumer » (produire + consommer) montre comment les Bruxellois peuvent gagner une résilience et un certain degré d’autonomie envers les acteurs économiques et publics sur le marché de l’énergie. Quoique l’échelle des communautés d’énergie reste petite et la percée de tels projets récente, nous y retrouvons une actualisation du système d’auto-suffisance identifié par Polanyi. Certes, à ce moment l’idéal d’une « autarcie » absolue n’est pas réalisable mais nous ne pouvons pas nier le changement innovant qui annonce un nouveau mode d’intégration économique qui dépasse la logique pécuniaire du marché et la solidarité exclusive de l’état. Une telle hypothèse a déjà été avancée par Maignan et El Karmouni (2021) en se basant sur 5 communautés d’énergie existantes en France.

Reste à voir comment des telles communautés se constituent, comment elles peuvent se former et s’articuler comme alternative. Pour répondre à cette question de la genèse des CdE, notre recherche se réfère à Polanyi pour proposer l’hypothèse que le 3° mode d’intégration économique - celui de la réciprocité - peut nous aider à mieux comprendre l’émergence des CdE. Les gens y échangent ou partagent des biens et services et c’est dans ce donnant-donnant que des liens sociaux se tissent et constituent finalement des CdE. Bien et lien sont donc fortement corrélés et constituent des communautés qui insèrent les participants dans des rapports de force et interdépendances variables. La logique qui prévaut ici est celle de la réciprocité - notion capitale que nous décortiquons à l’aide de Mauss.

Ce modèle quadruple de l’économie nous permet de mieux situer les communautés naissantes, d’apprécier leur particularité innovante et de comprendre leur contribution dans la transition énergétique qui se présente. Remarquons aussi que les 4 cercles se superposent et donnent lieu à des interactions. Une hausse des prix énergétiques sur le marché par exemple peut inciter la politique à élargir les tarifs sociaux et motiver plus de gens à adhérer à des communautés d’énergie qui partagent leur propre production. Mais à l’heure actuelle cette « autarcie » reste inévitablement relative car les technologies actuelles ne sont pas en mesure d’atteindre l’idéal de l’auto-suffisance. C’est également en s’appuyant sur le modèle quadruple que nous pouvons donner plus de contenu à la notion ambivalente de « résilience ». Elle renvoie à la capacité d’agir des citoyens pour se mettre ensemble et produire de l’énergie pour satisfaire leurs besoins. Une telle capacité les renforce certainement mais cela ne libère pas le marché et la politique de leurs responsabilités respectives en matière énergétique.

Dans la pensée de Polanyi les échanges de biens et la création de liens vont de pair, les interactions économiques sont donc toujours encastrées dans un contexte social. Reste à voir comment l’échange ou le partage matériel peut tisser des liens et fabriquer un tissu social. Pour explorer cette question, nous convoquons Mauss – père fondateur de l’anthropologie française. Dans son « Essai sur le don » il apparaît que la réciprocité connaît 3 impératifs : il faut donner, accepter et rendre. Celui qui donne, donne une chose ou un service matériel mais en même temps il se montre ainsi plus large, généreux, de bonne intention et capable à le faire. Celui qui donne de l’énergie manifeste sa possession d’une technologie, dans laquelle il a pu investir. Même si cette générosité se veut gratuite, elle permet au donateur de prendre une position supérieure. Ce qu’on « perd » du point de vue matériel, on le gagne sur le plan social ou symbolique. Donner est en effet prestigieux. Le donataire – celui qui reçoit le don – en profite clairement mais le fait d’accepter le bien ou service matériel implique également qu’on reconnaît le donateur, qu’on s’incline devant sa position supérieure et qu’on accepte de se lier à lui de cette manière. Refuser un don, en revanche, ne signifie pas seulement refuser le profit matériel mais décline aussi l’invitation de se mettre en relation avec le donateur – cela pourrait même être perçu comme une insulte pour celui qui se montre si généreux. Le don a donc ses ambiguïtés et celui qui voit dans l’échange seulement une transaction matérielle au profit des intérêts utilitaires, reste aveugle à la dimension sociale de négociation des rapports de force – qui constituent ultimement la cohésion sociale. A travers le don, le donateur obtient une position supérieure tandis que le donataire en acceptant le don, assume une position inférieure envers le premier. Ainsi, lorsque le donateur demande un retour, il est impossible pour le donataire de refuser.

Le 3e impératif de la réciprocité est de rendre le don initial par un contre-don. Ne pas le faire signifie que le donateur peut mettre fin à la relation et qu’il est capable de disqualifier le donataire comme un profiteur ingrat qui ne mérite pas de solidarité. Les rapports de force entre donateur et donataire se déclinent selon la hauteur relative du contre-don. Par conséquent, un contre-don modeste renforcera la position supérieure du donateur tandis qu’un contre-don qui dépasse le don initial demandera de rééquilibrer les positions relatives des acteurs. Entre-temps, donateur et donataire ont changé de rôle et la récurrence de leur donnant-donnant développe une interdépendance solidaire. Dans le cas des CdE, l’analyse des moyens de financement internes à chacune des communautés d’énergie permet de mettre en lumière les positions d’infériorité et de supériorité inhérentes à celles-ci.
La réciprocité a donc un double fond important qui nous permet de mieux comprendre la constitution des communautés d’énergie et les complications qu’elles rencontrent dans leurs échanges matériels et sociaux. Le défi est de trouver un bon équilibre – aussi bien sur le plan matériel que social – entre le don et le contre-don sans que cela devienne une transaction monétaire directe qui ressemble aux transactions anonymes du marché. En même temps les partenaires ne peuvent pas ignorer non plus cette alternative – leur collaboration ne peut pas être contradictoire au marché. Bref, il reste difficile de déterminer une valeur d’échange dans une transaction non-monétaire.

Maignan et El Karmouni ont également mobilisé la pensée de Polanyi pour analyser les CdE, et ils montrent l’encastrement à la fois politique et écologique de l’activité économique des cinq collectifs français étudiés. L’étude de ces cas montre qu’il existe un désir d’autonomie, « d’autarcie énergétique » construit sur un système de réciprocité inter-organisationnelle. Dès lors, à partir de ce cadre théorique, on peut mettre en lumière :
- L’encastrement politique-économique-écologique qui existe au cœur des différents types de motivations à participer aux initiatives de CdE ;
- Les dynamiques de réciprocité internes entre donateur et donataire, entre individus en soulignant notamment les dynamiques de pouvoir, les conditionnalités, les négociations présentes dans les 3 CdE étudiées.

Dès lors, la problématique revient à se demander quels sont les rapports de pouvoirs internes et le mode de fonctionnement qui structurent les initiatives citoyennes de CdE. Or, comme le souligne Polanyi, ces interactions économiques sont encastrées dans un contexte social, c’est pourquoi cette recherche questionne aussi dans quelle mesure les valeurs d’autonomie et de solidarité façonnent et donnent sens aux CdE.

Quels sont les éléments et processus qui freinent l’émergence d’une CdE ?

La co-recherche menée auprès des trois CdE a montré qu’il existe certaines similarités lorsqu’il s’agit d’observer les difficultés rencontrées à la formation de CdE.

1. Manque d’intérêt de la part d’autres habitants
Les cochercheurs ont souligné qu’il est difficile de susciter l’intérêt des voisins qui n’ont pas la volonté de s’investir dans des projets citoyens. Ce constat est vérifiable pour les 3 CdE, mais encore plus présent dans la CdE Volta-taqa.

2. Manque de temps pour participer aux réunions et ateliers
Pour le cas de Volta-taqa les horaires des ateliers (15h- 17h, les mardis une fois sur deux) ont été identifiés comme une contrainte pour la participation d’un plus grand nombre d’habitants, travailleurs. Cependant un changement d’horaire de 17h30-19h30 n’a pas entraîné une évolution significative et les cochercheurs assidus ont choisis de revenir aux horaires initiaux.

3. Manque d’information
Le peu d’exemples de communautés d’énergie légales existantes sur le territoire de la RBC, leur constitution toute récente et le manque d’information pratique qui en résulte sur ce qu’est concrètement une communauté d’énergie et leurs enjeux peuvent freiner également l’émergence d’une communauté d’énergie. Le travail de vulgarisation et de facilitation est donc un aspect particulièrement important.

De plus, en ce qui concerne le quartier de Boondael, la barrière de la langue a été également soulevée par plusieurs cochercheurs. En effet, Volta-taqa se caractérise par une forte diversité culturelle de ses membres : personnes originaires d’Afrique du nord, Afrique subsaharienne, Amérique du sud, Espagne, Italie et Belgique entre autres. Dès lors, certains ne maîtrisent pas toujours le français et donc se retrouvent en marge des ateliers et de l’information.

Interrogés sur la question de savoir si la diversité culturelle constituait un frein pour l’émergence d’une communauté d’énergie, tous les volta-taquistes sont unanimes : non cela ne constitue pas un frein, cela implique d’adapter la stratégie de communication. « La diversité culturelle à Boondael nous rappelle qu’il faut en tenir compte et veiller qu’elle soit bien représentée dans le groupe et avoir une attention particulière pour chaque communauté » soulignait Juan. Pour ce faire, Fatima l’une des représentante de Volta-taqa, arabophone, se charge de traduire le contenu des ateliers auprès de ses voisins ne maîtrisant pas bien français. Cette initiative de Fatima traduit bien le désir des volta-taquistes de pallier cet obstacle de la langue qui existe bien.

Ces différents freins ont contribué à limiter le processus de consolidation des groupes de cochercheurs à Volta-taqa et au Coin du Balai. A l’Echappée, le principal frein évoqué est celui du manque de temps des cochercheurs qui sont engagés dans plusieurs projets en même temps. Pour le Coin du Balai le manque d’interactions sociales entre voisins a été souligné car le nombre de cochercheurs et d’explorateurs est bien plus élevé alors que l’engagement collectif dans le projet cocreate est plus faible que dans les deux autre CdE et singulièrement par rapport aux volta-taquistes.


Quels sont les éléments constitutifs de la CdE et leurs relations ? Quels sont les avantages sociaux générés par la CdE ?

En décidant de participer à un projet de communauté d’énergie dans le cadre de VdE, les cochercheurs sont animés par un certain nombre de motivations et d’objectifs précis. L’observation menée tout au long de cette année écoulée a mis en exergue quatre principales motivations et objectifs qui ont pu être approfondis grâce aux données qualitatives.

1. Participer à un projet citoyen
Dans les trois communautés d’énergie la raison principale est la volonté de participer à un projet citoyen, cependant il est intéressant de regarder de plus près ces résultats. Pour l'Échappée, cette volonté de participer à un projet citoyen est prioritaire (9/11 participants de l’enquête générale). Au Coin du Balai la grande majorité des participants l’ont également désigné comme raison principale (8/9 participants). A Volta-taqa, bien que la volonté de participer à un projet citoyen est ressortie comme prioritaire, on remarque que la deuxième motivation qui est celle « développer des relations sociales dans le quartier » suit d’assez près la première.

2. Curiosité et Volonté d’apprendre
La curiosité et la volonté d’apprendre sur l’énergie sont les motivations les plus citées lors du focus group mené avec les cochercheurs de Volta-taqa. Il ressort des échanges qu’il y a une forme d’évolution avec comme point de départ la curiosité et l’envie d’apprendre puis, à travers les interactions avec les autres membres du groupe, se renforce l’idée d’une action collective. Juan soulignait en une phrase ce processus : « Apprendre sur l’énergie pour pouvoir agir ». De son côté, BinHôme, souligne que l’intérêt est d’arriver à des conclusions et avoir une réflexion sur comment vivre autrement dans les bâtiments.

Dans le cas de l’Échappée, les cochercheurs ont souligné leur envie d’apprendre à devenir plus résilients au niveau de la consommation de l’électricité, avoir des pistes pour consommer moins, polluer moins et explorer la capacité collective à réduire ses consommations afin d’éviter un blackout ou de faire face à des baisses d'approvisionnement électrique.

En ce qui concerne le Coin du Balai, le constat est assez similaire à celui de l’Echappée à la nuance près que nous nous situons à l’échelle d’un quartier. Ils sont curieux et désireux d’apprendre à répondre collectivement à une alerte et de pouvoir prouver la capacité des citoyens de réagir collectivement afin d’éviter, par exemple, de devoir mettre en route la centrale à gaz de Drogenbos (volonté que l’on retrouve également à l’Echappée). De plus, l’actualité énergétique pousse les cochercheurs à explorer des pistes collectives menant vers plus d’autonomie énergétique (dont les questions autour du stockage et de la mutualisation) et donc de résilience.

3. Réduire sa facture d’électricité
Étonnamment, cette motivation ne semble pas prioritaire selon l’enquête mais reste tout de même importante pour l’ensemble des cochercheurs. Il faut souligner que l’enquête générale a été faite durant le début de l’été 2022 avant donc l’arrivée des factures de régularisation.

4. Développer des relations sociales dans le quartier
Cette motivation a été soulevée par tous les Volta-taquistes dans le cadre de l’enquête générale. Notons qu’aucun cochercheurs de l’Echappée et du Coin du Balai n'a identifié cette dimension sociale comme une motivation principale. Cela peut se comprendre pour le cas de l’habitat groupé où les liens sociaux sont déjà préétablis. Toutefois, autant chez les Echappistes que les habitants du Coin du Balai, les dimensions sociale, solidaire, inclusive ont été soulignées à de nombreuses reprises lors des réunions et des rencontres des explorateurs, par exemple.

On observe un certain degré de convergence au sein même des communautés d’énergies en termes de motivations ; les intérêts principaux se rejoignent et il ne semble pas y avoir de trop grands antagonismes. La similarité des motivations au sein d’une même communauté apparaît comme un facteur positif pour l’émergence du groupe de cochercheurs, en effet, en partageant une communauté de sens le travail collectif peut être facilité. Cependant une convergence autour des motivations à participer à une communauté d’énergie ne suffit pas, encore faut-il qu’au sein du groupe existe des valeurs et identités partagées, ainsi qu’une confiance mutuelle, qui viendront consolider le groupe.

Dès lors, afin de mieux comprendre l’auto-perception des cochercheurs vis- à- vis de leur CdE, nous avons abordé avec eux la question de ce qu’ils partagent avec les autres membres. Les réponses des cochercheurs montrent une différence significative entre l’Echappée et Volta-taqa. En effet, pour l’Echappée les cochercheurs ont exprimé dans l’enquête générale le sentiment de partager le même profil social et économique, la même origine culturelle et la langue. Cette tendance est similaire au Coin du Balai. En revanche, à Volta-taqa, on observe que la même origine culturelle, l’âge et le niveau d’enseignement sont identifiés comme des éléments non partagés. Cela vient confirmer l’hétérogénéité culturelle et sociale de Volta-taqa.

Ce constat est à nuancer. Au Coin du Balai, si le profil culturel et socio-économique des co-chercheurs et explorateurs VdE est davantage homogène, ce serait une erreur d’en faire une généralité. En effet, d’une part, certains explorateurs habitent des logements sociaux (La Casba), d’autre part, la volonté de constituer "à terme" une CdE inclusive est présente depuis le départ dans le chef des cochercheurs. Concernant L'Echappée, certains habitants sont des locataires. Certains d’entre-eux ont confié en réunion leur situation précaire. Même si les co-chercheurs les plus impliqués y forment un groupe plus homogène, il y a là aussi la volonté, dans un second temps, d'ouvrir la CdE sur le quartier (cinéma de quartier etc). Enfin, soulignons le biais inévitable de l’enquête, tous les cochercheurs ne participant pas à cet exercice.

De plus, interrogés sur ce qu’ils ont en commun avec les autres membres, les cochercheurs de l’Échappée et de Coin du Balai ont désigné comme élément en commun la « volonté de faire bouger les choses ». Les Volta-taquistes, quant à eux, ont identifié « l’intérêt pour les questions de l’énergie » et « le quartier ». Cette différence entre l’Échappée, le Coin du Balai et Volta-taqa met en lumière l’auto-perception de chacune des CdE sur sa propre capacité d’agir. En effet, « faire bouger les choses » est certes important aux yeux des Volta-taquistes mais en tant que locataires d’une SISP ils perçoivent le soutien de BinHôme comme essentiel à leur action. Il existerait donc une vision d’une marge de manœuvre des Volta-taquistes limitée. Au contraire, à l'Échappée et dans une certaine mesure au Coin du Balai, les cochercheurs sont convaincus d’avoir un réel pouvoir d’agir et d’influence.

Toujours dans le cadre de l’enquête générale, les cochercheurs ont exprimés que la communauté d’énergie rapproche les membres entre eux : « oui, un peu » a estimé plus de la moitié des Echappistes et du Coin du Balai, tandis que les Volta-taquistes estiment que « oui beaucoup ». Étant un espace de socialisation pour ses membres, la communauté d’énergie s’organise sur la base d’un fonctionnement interne. Pour Vota-taqa, l’idée partagée par quelques participants est que tous les membres jouent le même rôle au sein du groupe, chacun apporte une contribution à la réflexion commune. Tous partagent le même rôle dans la prise de décision. Fatima et Christina, les deux représentantes de Volta-taqa, soulignent qu’elles ont le rôle d’information et de communication sur les activités du groupe vers le quartier. La direction de BinHôme, appuyée par son Conseil d’Administration, voit son rôle comme étant celui de faire participer les locataires aux différents processus de rénovation, de les inclure et d’être à leur écoute, voir ce qu’ils pensent, voir ce qui serait plus pratique de réaliser. Il n’existe donc pas de hiérarchie de rôles au sein du groupe, pas de répartition claire et fixe des tâches et des fonctions. Le groupe s’appuie essentiellement sur un système de prise de décision collégiale en plénière. Cette absence de rigidité permet une très grande flexibilité dans les rôles que chacun pourrait ou voudrait prendre dans le groupe.

Évolution des savoirs et compétences

Durant le projet VdE nous avons réalisé 12 formations à la demande des cochercheurs sur divers sujets qui ont trait au système électrique et à ses usages. Cette demande témoigne à la fois d’un intérêt envers ces questions mais aussi du fait que le système électrique est complexe et difficilement appropriable (notamment suite à la libéralisation). Lorsque les questions se sont précisées, la plupart des cochercheurs ont demandé à mieux connaître leurs consommations (et productions) pour savoir ce qu’ils pourraient diminuer mais aussi apprendre à consommer à d’autres moments. La solution a alors été d’installer des compteurs communicants (de la marque Flukso) qui possèdent une interface à laquelle il est facile de se connecter et qui surtout produit des données que nous pouvons récupérer et traiter. Nous avons été surpris de constater que c’est seulement suite à la découverte de leurs données de consommation et production que certains cochercheurs qui possèdent des panneaux PV ont compris qu’il vaut mieux consommer en journée lorsque leurs panneaux produisent.
Pour l’habitat groupé de l’Échappée, la technicité n’a jamais réellement constitué un obstacle grâce à la présence d’un cochercheur, Marc, qui s’intéresse de près à ces questions et qui est considéré, au sein de l’Echappée, comme le « monsieur énergie ». La proximité entre une personne qui maîtrise ces questions et le reste des cochercheurs a permis à l’ensemble du groupe d’éviter que la technicité soit un obstacle. Du côté du Coin du Balai, il y a aussi de l’expertise en matière d’énergie. Cependant, elle est moins facilement mobilisable en raison de la cohésion moindre de ce large groupe de cochercheurs et d’explorateurs. De plus, pour ces deux CdE, l’installation des Flukso, l'interprétation et l’analyse des données rencontrent toute une série d’obstacles d’une part pour obtenir des données fiables et d’autre part pour les interpréter, singulièrement les phénomènes collectifs de consommation et de production d‘électricité facilement.

Outre l’aspect technique de l’énergie, on observe une « prise de conscience » de l’importance de la question en termes de résilience urbaine et en termes d’impacts environnementaux. Par exemple, lors d’une réunion un des cochercheurs de l’Echappée a montré son désaccord à l’affirmation du risque de blackout à Bruxelles pour ensuite se montrer plus accueillant à l’idée lorsque les autres membres du groupe et les partenaires ont détaillé le propos. Lors de cette discussion, c’est le manque de résilience du système énergétique bruxellois qui a été mis en avant.

De manière plus générale, des connaissances ont été acquises au fil des discussions grâce aux espaces de dialogue qu’ont permis la tenue de réunions régulières. Ces connaissances concernent l’autoconsommation collective, le partage d’électricité et ce qu’implique une communauté d’énergie.

Les cochercheurs de Volta-taqa se définissent spontanément comme des « non experts » sur l’énergie et comme ne disposant pas de toutes les connaissances spécifiques liées à ces questions . Bien évidemment, ce constat est à nuancer car il y a parmi les Volta-taquistes des personnes avec énormément de compétences et de connaissances en matière énergétique. C’est le cas par exemple de Juan et de Ahmad. A l’Echappée, les cochercheurs se considèrent, pour la plupart, également comme des non-experts, comme l’a souligné Anne-Lise lors de la dernière rencontre des explorateurs.

Soulignons que c’est justement cette « non-expertise » sur les questions liées à l’énergie qui les poussent à avoir une très grande curiosité pour apprendre. En effet, parmi les différentes motivations principales citées par les cochercheurs de Volta-taqa à participer aux ateliers, l’on retrouve la curiosité et la volonté d’apprendre plus sur l’énergie et la transition énergétique. Après plusieurs mois d’ateliers, lors d’une table de discussion avec quelques cochercheurs, la question des apprentissages a été abordée : l’ensemble des participants présents ont affirmé avoir appris de nouvelles choses grâce aux ateliers Volta-taqa. On peut distinguer trois types d’apprentissages présents dans le discours des cochercheurs :
- Des apprentissages sur des petits gestes applicables à la vie de tous les jours. En effet, Marie-Jo, par exemple, soulignait qu’elle avait appris que ce n’était pas forcément plus économique de mettre la machine à laver le soir.
- Des nouvelles connaissances précises qui viennent approfondir leurs compréhensions sur des sujets perçus comme complexes. Ainsi, Monique disait, lors de la co-analyse, qu’elle avait appris énormément grâce aux graphiques sur la modulation de la consommation en fonction des familles qui participent. Juan, quant à lui, affirmait qu’il a pu avoir « une compréhension plus physique des bâtiments et plus complète ».
- Une conscience nouvelle autour des enjeux liés à la transition énergétique et l’importance de nouveaux moyens de production d’énergies et de consommation plus sobre.

Tous concordent à dire que ce processus d’apprentissage est continu et qu’il est important à leurs yeux de poursuivre ce type de partage de savoir « qui sort des bureaux de l’Université et devient plus accessible aux citoyens ».

Importance de la production locale

Dès le début du projet, l’importance de la production locale a fait surface lors des réunions à l’Echappée. Diverses réflexions et divers questionnements ont émergé de ces discussions. Le souci de l’impact d’une production locale dans le système énergétique s’est plusieurs fois révélé important. Selon Marc : « Nos productions renouvelables représentent tellement peu par rapport l’ensemble du système. Quelle portée cela peut avoir ? Y a-t-il un rassemblement possible de ces minuscules unités ? » L’importance de la production locale est restée floue tout au long du processus de co-recherche à l’Echappée. Néanmoins, cela n’a pas constitué une perte de sens dans la production locale. La question d’augmenter cette production a d’ailleurs été abordée en début de projet.

Aussi, le sentiment d’infériorité par rapport aux acteurs dominants de l’énergie a été soulevé par Luc : « est-ce qu’ils pourront aussi interférer sur notre production locale ? » La question du pouvoir d’agir reste centrale dans les réflexions et les échanges à l'Échappée, fait naître un besoin de compréhension du système énergétique et rejoint une volonté d’autonomie énergétique. Il est évident pour les Echappistes qu’une réelle autonomie est difficilement réalisable mais cette utopie reste largement présente. Ce qui rejoint les constats de Polanyi. Des alternatives sont envisagées : « Il serait intéressant d’entrer en contact avec la commune, avec les instances culturelles et les instances sociales. Il existe un centre culturel à proximité de l'Échappée et des logements sociaux. Activer ces communautés existantes et voir ce qui serait possible de faire. Intégrer Greenbiz et Tivoli pour grouper les forces de production. »

Au Coin du Balai et à Volta-taqa, la question de l’autonomie énergétique a également plusieurs fois été abordée. Il y a une réelle volonté de se défaire des acteurs dominant le marché de l’énergie. Cette volonté induit une réflexion autour d’autres questions telles que celle de l’autoconsommation et celle du stockage. Il est clair que d’autres enjeux fondent ces réflexions, notamment l’encastrement politique-économique-écologique déjà évoqué.

Ainsi, le rapport à l’autoconsommation collective est teinté d’intérêts politiques, environnementaux et économiques. Tout comme la volonté d’éviter un maximum l’injection de l’électricité produite sur le réseau comme l’exprime Luc (Echappée) : « Nous avons besoin de connaître les flux disponibles dans notre autoproduction pour savoir quand faut-il consommer et éviter que la production soit rejetée sur le réseau. » Cet intérêt émane également d’une volonté d’autonomie face au système énergétique.

Quant au stockage, il est envisagé comme un moyen d’améliorer l’autoconsommation. Une tension entre la volonté d’autonomie et d’amélioration de l’autoconsommation, et les enjeux écologiques derrière la production de batterie a pu être constatée à de nombreuses reprises et constitue un nœud au sein des trois CdE. Le stockage “indirect” a été proposé notamment par Olivier (Echappée) lors d’une réunion traitant des expérimentations : “on pourrait congeler de l’eau lors des pics de production”.

Périmètre de la communauté d'énergie

La manière dont chaque communauté d’énergie perçoit son périmètre est essentielle dans son processus de consolidation et varie selon les contextes dans lesquels elles s’inscrivent. S’il est vrai qu’il n’existe pas de limite légale quant à l’étendue du périmètre autorisé d’une communauté d’énergie, le constat est que le périmètre du quartier et celui du bâtiment restent les plus fréquents. En effet, dans le cas du projet Voisins d’énergie on retrouve comme étendue : les habitations situées sous la même cabine basse tension, l’étendue d’un quartier et le périmètre d’un habitat groupé.

Mais comment vont se construire les perceptions des cochercheurs quant à l’étendue de leur communauté d’énergie ? Quelles logiques suivent les membres d’une communauté d’énergie « en devenir » pour établir leur propre périmètre ? Quelle est l’articulation entre communauté d’énergie et solidarité de proximité?

L’Échappée
Au début du projet, pour l’Echappée, une communauté d’énergie est un « groupe de personnes qui s’organise autour d’une production d’énergie ». Certains éléments comme l’autoconsommation collective, l’énergie renouvelable et le partage d’énergie ont émergé des discussions qui ont servi à définir ce qu’est une communauté d’énergie, avec une certaine maîtrise de ces concepts. Rapidement, la question du périmètre s’est elle aussi posée.

Au début du projet, le groupe avait la volonté de s’étendre au quartier (comme expliqué dans le point 1. Les communautés d'énergie comme acteurs de la résilience électrique), petit à petit recentré sur l’habitat groupé afin de maximiser l’ACC. On peut constater une envie de rayonner, de créer du lien grâce au partage d’électricité et de servir certaines causes via ce partage, comme la lutte contre la précarité énergétique. Cela dit, nous pouvons également constater que la focale s’est orientée vers l’ACC au vu de la production modeste de l’Échappée : « nous n’avons pas grand-chose à partager. »

Outre cela, nous pouvons considérer qu’il est plus simple pour les Échappistes de commencer par faire communauté d’énergie au sein de l’habitat groupé et de laisser la possibilité de s’étendre au quartier dans le futur, lorsque la communauté d’énergie sera légalement constituée. On observe ici une tension entre la volonté d’optimiser l’ACC et celle d’offrir les surplus à des personnes en situation de précarité énergétique habitant autour de l’Échappée.

D’ailleurs, l’idée de partager l’électricité revient de temps en temps sur la table, comme lors de la réunion du 23 août dernier où la question a été soulevée par une des Échappistes : « Dans quelle mesure pouvons-nous envisager de partager l’énergie vers des voisins ? » Un autre membre de l’habitat groupé répond que l’installation des Flukso est une opportunité car cela permet d’avoir une vue sur la consommation et la production. La discussion a ensuite dérivé vers la constitution légale d’une communauté d’énergie.

Qu’il s’agisse de cette volonté de partage qui a été avortée ou de l’idée d’augmenter l’ACC, les discussions qui ont eu lieu à l’Échappée témoignent d’une sensibilité à la solidarité et à la consommation collective. Tout au long du processus de définition des expérimentations et dès la première réunion, la mutualisation des usages électriques a plusieurs fois émergé des discussions. Les Échappistes sont particulièrement sensibles à cette question puisqu’elle fait partie de leur projet d’habitat groupé dès le début, notamment avec leur buanderie collective. Dernièrement, l’idée de se retrouver et de partager un repas ensemble lors d’expérimentation de signal d’alerte dans le but de consommer moins d’électricité a plusieurs fois été exprimée. Cependant, dans les faits et jusqu’à présent, rien n’a été mis en place. Ce qui révèle une nouvelle tension entre les envies/intérêts et les contraintes de la vie quotidienne.

Volta-taqa
Les cochercheurs de Volta-taqa sont pour la grande majorité des locataires de la SISP BinHôme qui possède dans le quartier plusieurs bâtiments (Relais I et II, Dons, Vandeuren, Volta I, II et III) qui couvrent plusieurs rues du quartier Boondael. C'est donc naturellement que les cochercheurs Volta-taqa appréhendent l’étendue de la Communauté d’énergie sur l’ensemble quartier de Boondael dont les limites ont été clairement identifiées par le groupe.
En effet, il y a une réelle volonté d’inclure au maximum l’ensemble des habitants qui ne font pas encore partie du groupe. Qui plus est, cette ouverture vers le quartier anticipe déjà l’arrivée des futurs locataires de BinHôme qui aménageront ces prochains mois dans les bâtiments rénovés. Ainsi, comme aime à le souligner Juan, cochercheur de Volta-taqa, « notre quartier est en pleine transition, il est important d’avoir une conscience de l’espace dans lequel on vit pour pouvoir trouver des solutions et ne pas oublier de tenir compte des nouveaux arrivants et de les intégrer dans notre environnement ».
Cette vision d’une communauté d’énergie à l’échelle du quartier a été réaffirmé lors de l’enquête générale et lors du focus group.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que lors des discussions concernant les modalités des différents projets solidaires d’énergie, les cochercheurs ont opté pour une ouverture graduelle vers le quartier. Cela répond au besoin de « tester » petit à petit la mise en œuvre de ces projets avant de les ouvrir à un plus large public.

Le Coin du Balai
Au Coin du Balai s’est posée la question de l’extension de la communauté au-delà du quartier et de considérer, par exemple, l’ensemble de la Commune de Watermael-Boitsfort. Au départ il y avait l’idée de relier le projet Volt’Face (centrale solaire sur la dalle de la gare de Boitsfort) au Coin du Balai via un câble. Très vite toutefois les cochercheurs ont choisi de se concentrer sur leur quartier car c’est là qu’ils ont leurs habitudes et surtout organisent déjà une série d’activités à l’échelle de ce quartier particulier, dessiné comme une enclave dans la forêt de Soignes.

Le Coin du Balai comporte 5 cabines basse tension mais une seule est équipée d’un compteur (grâce à l’aide de Sibelga) et certains cochercheurs ne dépendant pas de cette cabine se sont sentis exclus de l’expérimentation. Mais ils ont compris que grâce au Flukso il est possible de tenir compte de leurs actions lors des alertes.

On observe donc des différences en termes d’ouverture vers l’extérieur entre l’Echappée d’un côté et de l’autre Volta-taqa et le Coin du Balai. En effet, d’après les résultats obtenus durant l’enquête générale, plus de la moitié des enquêtés de l’Echappée souhaitent que ce soit le collectif qui puisse décider de qui fera partie de la Communauté d’énergie. Étant un groupe préexistant au projet de Communauté d’énergie, ce résultat illustre bien d’une part que la priorité de s’étendre au-delà du groupe n’est pas d’actualité et, d’autre part, que cette question sera soumise à une décision collective. Comme souligné précédemment, l’intérêt du groupe est l’amélioration de leur auto-consommation.

Au Coin du Balai et à Volta-taqa, les cochercheurs ont une tout autre vision des choses : ils ont exprimé leur intérêt d’une large inclusion des voisins dans leurs projets de Communautés d’énergie. Cela est particulièrement vrai pour le Coin du balai où une cochercheuse exprimait son inquiétude et son ressenti de ne pas faire communauté avec les autres cochercheurs. On retrouve bien en filigrane l’idée de l’énergie comme vecteur de lien social. « Une communauté d’énergie n’a de sens que si l’on fait communauté avec les autres » disait la cochercheure du Coin du Balai.
En termes de solidarités, les trois CdE en devenir partagent la volonté de mettre en place différentes formes de solidarités avec leurs voisins. A Volta-taqa, nous avons les projets de solidarité électrique et au Coin du Balai et à l’Echappée l’idée du partage à finalité sociale a été présente tout au long du processus de co-recherche.

Quelle place accordée au « partage d’énergie » ?

L’expression “partage de l’énergie” est désormais consacrée dans l’ordonnance. Pourtant quand on fait une opération d’autoconsommation collective, il ne s’agit pas à proprement parler d’un partage d’énergie mais d’une distribution des bénéfices liés à cette opération. En effet, l’énergie (l’électricité en l’occurrence) va là où elle est demandée, en suivant le chemin de moindre résistance. S’il y a un nombre pas trop grand de panneaux PV dans un quartier, on peut penser que l’entiereté de la production est absorbée dans ce quartier vu la consommation continue (sauf peut-être en été lorsque les panneaux produisent abondamment et que beaucoup d’habitants sont en vacances). La distribution des bénéfices économiques dépend de la manière dont on va comptabiliser l’électricité, et cette mesure est toujours relativement arbitraire. D’abord temporellement : le comptage se fait habituellement une fois par an, sauf si on a un compteur communicant auquel cas le comptage peut se faire chaque quart d’heure. Ensuite spatialement : le comptage se fait au niveau d’un ménage, mais pourquoi pas par appareil ou sur une cabine basse tension (pour mesurer l’auto-consommation collective) ?

Interrogés sur la question de : Avec qui voudriez-vous partager les bénéfices de la production locale ? les co-checheurs des trois CdE avaient le choix de mettre en priorité plusieurs réponses possibles. Il ressort de l’analyse que pour l'Échappée et le Coin du Balai le partage des bénéfices devait se faire en priorité avec « les habitants en situation de précarité énergétique ». La deuxième priorité était le partage avec « les voisins proches ». Pour Volta-taqa, la priorité du partage des bénéfices est accordée aux associations du quartier, et en deuxième priorité le partage avec les voisins proches. Et la réponse « partager en échange de quelque chose en retour » n'apparaît nulle part comme étant une priorité.

Ces résultats confirment que la recherche d’un profit lucratif en échange du partage d’énergie ne constitue l’objectif d’aucune des trois CdE. Au contraire, on retrouve une forte volonté de solidarité vis-à-vis des personnes en précarité énergétique. Par ailleurs, dans un contexte de précarité énergétique importante tel que dans le quartier de Boondael, il est intéressant de remarquer que la solidarité est orientée plutôt vers les associations du quartier, qui en l’occurrence, sont présentes en très grand nombre et participent activement à la vie du quartier. Attribuer les bénéfices de la production à des associations revient donc à les mettre au service de l’intérêt collectif de l’ensemble des habitants du quartier.

A partir de ces résultats on peut voir se dessiner clairement une rationalité en valeur telle que décrite par Weber, c’est à dire en l'occurrence l’idée de solidarité vis-à-vis des personnes en précarité énergétique dans les trois CdE. Ce constat permet donc de comprendre qu’au sein des différentes communautés d’énergies les cochercheurs partagent la même cause, et certaines valeurs et idéaux semblent être communs. La rationalité en finalité, liée au bénéfice lucratif et calcul économique est très faible et ne crée donc pas au sein des trois communautés des tensions internes pouvant limiter la collaboration.

Aussi, on retrouve une certaine logique de périmètre quant au partage des bénéfices de la production puisque les trois CdE identifient comme deuxième priorité le partage avec les voisins proches. Dès lors, la dimension locale semblerait occuper une place considérable sur la façon dont les CdE s’auto-définissent et définissent leur périmètre d’impact ou d’action.

Représentations de la précarité énergétique

La question de la précarité énergétique est très présente à Volta-taqa où il existe à peu près 58,25% de précarité dans les logements de BinHôme selon l’étude du Baromètre de Boondael que nous avons réalisée.

La préoccupation autour de l’augmentation du prix de l’énergie est très souvent au cœur des discussions entre les habitants, spontanément lors des ateliers les cochercheurs partagent le montant de leurs factures d’électricité et de gaz. C’est dans ce même élan que les membres de Volta-taqa ont exprimé leur intérêt pour que soit abordé à nouveau les thèmes liés aux différents processus d’aide sociale en vigueur en cas de difficulté de paiement.

Bien qu’elle ne soit pas toujours identifiée par l’expression « précarité énergétique », la vulnérabilité des locataires de BinHôme face à la crise énergétique constitue une préoccupation centrale et commune aux Volta-taquistes qui perçoivent le projet de Communauté d’énergie et les projets énergétiques solidaires comme des moyens concrets pour faire face à un enjeu bien réel.

Pour le Coin du balai et l'Échappée la notion de précarité énergétique est abordée de manière différente. Il est clair que les cochercheurs de ces deux CdE ne sont pas en situation de précarité énergétique. En effet, lors de la rencontre des explorateurs du 8 septembre 2022, au cours de la co-analyse de l’enquête générale, une habitante du Coin du balai a soulevé que dans leur quartier « la plupart des personnes n’ont pas du mal à payer leurs factures, cela ne concerne pas le voisinage ».

Les résultats de l’enquête générale viennent corroborer cette auto-perception d’une précarité énergétique inexistante puisque à la question concernant l’objectif principal de la communauté d’énergie, la réponse « réduire la précarité énergétique » est la moins choisie. Au contraire la réponse qui propose de permettre « une autonomie relative par rapport au réseau électrique » a obtenu le plus haut score suivi de celle qui défend l’idée de permettre une « alternative à la transition énergétique ».

Malgré que la précarité énergétique ne touche pas directement (à notre connaissance) les cochercheurs de ces deux CdE, il est clair qu’une sensibilité à la question est présente dans ces CdE. Certains cochercheurs ont une sensibilité toute particulière à l’égard des personnes en situation de pauvreté et de précarité et la constitution d’une communauté d’énergie reste, pour eux, notamment un levier d’action de lutte contre la précarité énergétique, malgré que cela ne soit pas au centre des motivations.

Réponses à la question “D’après vous, la communauté d’énergie devrait permettre en premier lieu…”

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image-1667241474004.pngEn dépit de cette différence de sensibilités autour de la précarité énergétique, les trois communautés d’énergie en émergence ont en commun le désir de partager le surplus de la production(future) aux voisins proches et aux voisins en précarité énergétique (voir la question 16 enquête générale).

Place des aspects économiques

On observe dans les communautés d'énergie constituées diverses discussions autour des tarifs: faut-il avoir une électricité nettement moins chère ou vaut-il mieux réinvestir dans des équipements collectifs? Lors de notre visite à la CdE Marius Renard (14 mai 2022), nous avons appris que la copropriété a décidé en assemblée générale de fixer le prix de l’électricité à 25 centimes/kWh en journée (taxes, TVA et frais de réseaux compris) et 22 ct/kWh la nuit. Le tarif bi-horaire a été gardé car des habitants possédaient déjà un tel tarif. Ce tarif a été accepté par tous car il est plus avantageux que le tarif social (26 ct/kWh).


Dans le cadre de Volta-taqa, les aspects économiques et financiers ont été abordés lors de l’élaboration des projets solidaires. Il s’agissait de se mettre d’accord sur le type de participation qui serait demandé aux futurs membres de la communauté pour l’usage des différents services ( les vélos cargo et la cuisine durable principalement). Pour ces deux projets l’idée d’un échange de service pour la communauté a été avancée ainsi que l’idée d’une contribution financière symbolique. On a pu observer lors des discussions qu’il existait une tension entre faire confiance aux autres membres et installer un fonctionnement d’entraide non monétisée d’un côté, et de l’autre, une vision plus ancrée dans le vécu d’expérience associative passée où la rétribution monétaire est vue comme un moyen de survie pour la communauté. ( idée d’une cagnotte).


Autre aspect financier abordé lors des ateliers avec les cochercheurs de Volta-taqa est celui lié à l’investissement de l’installation des panneaux photovoltaïques par BinHôme ainsi que le financement des vélos cargos. Pour la majorité des cochercheurs la prise en charge par BinHôme de l’achat des vélos cargo électriques est l’unique option. Cette vision de la responsabilité financière de BinHôme a été analysée et nous a permis de faire le lien avec le concept de « don » évoqué précédemment. Ainsi, interrogés sur leurs perceptions quant à la mise à disposition des vélos cargo et de la salle pour la cuisine durable, les cochercheurs ne perçoivent pas cela comme un don de la part de BinHôme. Selon certains d’entre eux, il s’agit bien d’une mise à disposition en échange d’une gestion faite par les membres de la Communauté d’énergie, en échange de la poursuite du projet de la Communauté. Dès lors que les conditions accordées avec BinHôme ne sont plus respectées, les cochercheurs de Volta-taqa sont conscients que BinHôme pourrait mettre fin à cet échange et reprendre la mise à disposition des vélos cargo ou la salle pour la cuisine durable. Comme le souligne Juan, « c’est une responsabilité pour ceux qui reçoivent, pour que ce soit bien utilisé, et maintenu sur la longue durée ».


On retrouve bien les trois impératifs de la réciprocité tels que présentés par Marcel Mauss : donner-accepter-rendre. En l’occurrence pour ce qui concerne Volta-taqa, BinHôme met à disposition des vélos cargo électriques (garage et prises électriques) et une salle équipée pour une cuisine durable et en échange les locataires et membres de la Communauté d’énergie acceptent la responsabilité de prendre en charge la gestion durable des locaux et matériels, leur bon usage ainsi que la suite de la consolidation du groupe grâce à ces projets solidaires. Bien que les cochercheurs de Volta-taqa ne qualifient pas et ne considèrent pas la mise à disposition faite par BinHôme comme étant un don, il n’en demeure pas moins qu’il existe bien un rapport de force entre la SISP et eux. En effet, en dépit de la réciprocité des échanges, BinHôme demeure dans une position de supériorité puisque ce qui est mis à disposition est matériellement supérieur à l’échange qu’il reçoit de la part des Volta-taquistes.


Toutefois, il est important de noter que ce rapport de force n'apparaît pas encore comme un obstacle dans le cheminement actuel de la construction de la CdE. Le cas précis de Volta-taqa nous enseigne que la dynamique de réciprocité dans le cadre de projets solidaires énergétiques entre locataires et la SISP génère de nouveaux liens sociaux et espaces de dialogue. En l’occurrence, la présence d’un employé de BinHôme aux ateliers, la réceptivité de la directrice et la promesse de vélos cargos ont suscité auprès des locataires un sentiment d’écoute qui renforce leur engagement dans le processus de consolidation de la CdE. Inversement, la cohésion du groupe et l’avancement progressif du groupe de cochercheurs vers des projets concrets énergétiques ont accentués l’engagement de BinHôme dans la mise à disposition.


Comme expliqué précédemment, la recherche de profit n’est un objectif pour aucune des trois communautés d’énergie. Les explorateurs de l’Echappée et du Coin du Balai songent spontanément à donner leurs “surplus” à des personnes ou des associations en difficulté. Toutefois, il existe une tension entre la volonté d’optimiser l’autoconsommation collective (utiliser sa propre électricité) et la volonté de donner son électricité. Ainsi Luc déclare : « il faut voir comment on peut définir à l’Échappée une meilleure utilisation des PV (en tirer un profit pas seulement économique) et comment on peut rationnaliser et prioriser les utilisations d’énergie par rapport à cette ressource. » Si les cochercheurs consomment plus leur électricité, ils en auront moins à donner. Marc : « c’est ridicule ce qui est vendu sur le réseau, on a vraiment tout intérêt à consommer lorsque les panneaux produisent. Il reste 75 % de notre électricité produit par nos PV que l’on pourrait encore consommer en faisant tourner au maximum nos appareils aux heures solaires. Faire tourner les laves vaisselles la journée, par exemple. Mais il y a des consommations qui sont impossibles à déplacer ». L’intérêt de l’autoconsommation collective est donc également de ne pas se faire « berner » par le système énergétique selon lequel l’électricité produite et réinjectée sur le réseau rapporte très peu alors que l’énergie achetée à un fournisseur coûte beaucoup plus cher.


Le rapport aux aspects économiques fluctue en fonction du « pouvoir d’achat d’énergie » des citoyens. Au début du projet, la volonté d’économiser de l’énergie au Coin du Balai et à l’Échappée était motivée surtout pour des raisons environnementales. Mais ce rapport a changé lorsque les prix de l’énergie ont explosé : la question économique est devenue plus centrale.


III. Données récoltées par les Flukso


L’objectif de l’installation des Flukso n’est pas de simplement fournir le détail de chaque habitant de manière individuelle, mais bien d’évaluer la flexibilité et la réactivité collective du quartier face à des « alertes ». Pour ce faire, nous avons dû mettre en place une infrastructure informatique spécifique pour :
● Rapatrier des données vers une base de données centralisée au centre de calcul de l’ULB. Cela permet de faire les agrégations et simulations nécessaires au niveau du quartier.
● Récupérer des mesures sur une cabine basse tension (CBT) de Sibelga au Coin du Balai afin de connaître la consommation totale du quartier et vérifier s’il y a de l’injection photovoltaïque au niveau de la cabine. Cette étape n’est pas encore finalisée en raison des absences dans l’équipe.
● Offrir une interface Internet pour les habitants afin qu’ils puissent visualiser leur propre « courbe de charge », mais également d’autres informations telles que la production et autoconsommation du quartier, la production/consommation de certains groupes de maisons, l’impact d’une alerte, etc. Cette interface est définie en cocréation avec les explorateurs.

Nous avons rencontré de multiples difficultés dans la gestion des Flukso et de leurs données :
• Il y a plusieurs générations de Flukso et certains modèles posent plus de problèmes techniques. Malheureusement, les réponses aux questions posées au fabricant se font attendre depuis des mois malgré les nombreux rappels.
• L’installation des Flukso se fait à chaque fois dans une situation particulière, souvent avec des installations électriques non conformes, qui requièrent des interventions spécifiques et qui nécessitent de revenir plusieurs fois pour José, le technicien et habitant du Coin du Balai.
• Certaines installations électriques sont modifiées en cours d’expérimentation par exemple par l’ajout de panneaux P.V. ce qui rend les données inutilisables dans le cas où José n’est pas averti pour modifier les connexions Flukso.
• Il y a d’autres problèmes liés à la modification de mots de passe, de fournisseur internet par exemple. Les données ne sont alors plus communiquées à Flukso ni logiquement à la base de données IRIDIA.
• Enfin, il y a aussi un problème de fiabilité des données reçues pour diverses raisons : extinction du wifi (pour les installations de Flukso où la connexion ethernet n’est pas possible), problème de communication des données de Flukso vers IRIDIA, les Flukso mesurent mal les installations en triphasé.

A ce jour, nous n’avons pu récolter qu’un nombre limité de données valides, mais nous travaillons à les nettoyer pour pouvoir généraliser nos analyses.

Interface Flukso

Les Fluksos permettent aux cochercheurs de suivre presque en direct (avec un délai de 5 minutes) leur consommation d’électricité. Dans la mesure où l’interface Flukso n’était pas satisfaisante pour les cochercheurs, nous avons développé notre propre interface, qui est encore en cours d’évolution afin d’en améliorer certaines fonctionnalités.

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Courbes de consommation et production


La récupération des données des Flukso permet de les manipuler pour obtenir, par exemple, des moyennes quotidiennes ou hebdomadaires. Le Flukso mesure la consommation (et la production) électrique toutes les 8 secondes. Cela permet de voir la puissance demandée de manière presque instantanée, mais cela implique aussi d’énormes bases de données. Pour manipuler ces données, nous avons établi une base de données secondaire qui prend la moyenne toutes les 15 minutes. Ce faisant, nous lissons considérablement les données comme le montrent les graphes suivants. Sur l’image de gauche, on voit des pointes de puissances brèves toutes d’environ 4000 Watts, liées à l’activité d’une pompe à chaleur. De manière générale, les pointes impressionnent souvent les cochercheurs qui regardent l’interface Flukso (cela peut être aussi une bouilloire ou un grille-pain), mais si on considère la moyenne prise toutes les 15 minutes, on obtient une courbe bien plus lisse (image de droite). Ces graphiques sont très utiles pour que les cochercheurs se rendent compte de la différence entre puissance instantanée et énergie consommée. On observe que les courbes se lissent au fur et à mesure qu’elles sont agrégées.

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Un autre fait remarquable est le lissage progressif des courbes lorsqu’on les agrège, c'est-à-dire lorsqu’on additionne les courbes de charge
Foisonnement. C’est ce que montrent les graphes suivants.

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image-1667242715063.pngNous avons réalisé une série de graphes pour tous les participants dont les données sont valides, en moyenne quart horaire :
- médiane quotidienne, avec premier et troisième quartile (afin de montrer la variabilité d’un jour à l’autre)
- moyenne hebdomadaire, car la consommation varie d’un jour de la semaine à l’autre
- quartiles hebdomadaires
- variations saisonnières

Les graphes sont faits à chaque fois pour la consommation, plus la production et le total (consommation moins production) lorsque le ménage possède des panneaux photovoltaïques. Nous en montrons quelques uns ci-dessous afin d’exhiber la grande variabilité. La co-analyse est en cours.

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Graphes représentant les consommations (et productions) en moyenne hebdomadaire. On voit une grande diversité de profils.

image-1667242947223.pngGraphes de courbes de moyennes hebdomadaires par saison (hiver, printemps, été, automne).  

 

Résultats des alertes

Comme décrit plus haut, l’Échappée et le Coin du Balai ont voulu tester la réaction de la communauté à des alertes qui signalent fictivement un problème sur le réseau et qui invitent à baisser la consommation. A l’Échappée, les cochercheurs n’étaient pas avertis du moment de l’alerte et l’apprenaient une demi-heure avant le début de l’expérimentation via un SMS. Au Coin du Balai, une alerte sur deux était planifiée avec les cochercheurs et les autres alertes étaient faites par surprise (avec aussi un avertissement une demi-heure avant le début). Le début et la fin de l’alerte étaient signalés également par un SMS. L’Échappée a d’abord décidé de tester une alerte de trois heures durant laquelle baisser sa consommation, mais a décidé d’allonger l’expérimentation à 6h suite à un premier retour d’expérience. Au Coin du Balai, de manière similaire, les alertes sont passées de 2 à 3h.

Les tableaux suivants reprennent le pourcentage de diminution (ou d’augmentation si le chiffre est positif) de la consommation d’électricité lors de l’alerte par rapport aux mêmes moments (heures et journées identiques). Le % est calculé de la manière suivante : (conso durant alerte – conso aux mêmes moments hors alerte) / (conso totale lors de ces moments). La moyenne prise sur les mois d'avril, mai et juin (lorsque les données sont correctes). Les cases vides signalent l’absence de donnée valide. Le bilan en kWh indique la baisse (chiffre négatif) ou l’augmentation (chiffre positif) de la consommation des participants durant l’alerte par rapport aux mêmes moments hors alerte.

L’autre type de tableau reprend les données que nous avons sur chaque ménage, via le questionnaire “enquête générale”. Il nous manque hélas un bon nombre de réponses pour pousser l’analyse, faire des croisements et interpréter les données.

L’Échappée

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Le Coin du Balai

Programmation des alertes :

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image-1667243343982.pngNous constatons que l’alerte fonctionne dans une certaine mesure, mais de manière variable. Il suffit qu’un ménage ne participe pas à l’alerte et consomme beaucoup durant la période pour annuler l’effet de réduction des autres participants. Vu les chiffres, il semble raisonnable de penser que l’alerte permet de diminuer la consommation d’1 kWh par ménage participant.

Nous sommes en train d’analyser les données pour voir si on n’a pas un “effet rebond” après l’alerte (ou anticipativement lorsque l’heure de l’alerte est connue longtemps à l’avance), c’est-à-dire un report des consommations après l’alerte. Le rapport final comprendra cette analyse.


IV. Conclusions


L’analyse des premiers résultats nous permet à la fois de tirer toute une série d’enseignements, et de soulever de nombreux paradoxes qui sont autant de pistes à approfondir pour continuer à développer les communautés d’énergie.

 

En termes de cohésion et de dynamique sociale, il ressort de la présente analyse que les différentes polarités telles que décrites, ont permis de mettre en lumière les différences et similitudes existant entre les trois communautés d’énergies. Pour ce qui concerne les similitudes nous avons pu observer que malgré des contextes distincts, les motivations et intérêts des cochercheurs se rejoignent autour d’une volonté partagée de participer à un projet collectif concret. Entre curiosité et volonté d’apprendre, “experts”et “non experts”, les cochercheurs affirment avoir acquis de nombreuses connaissances tant sur leur consommation que sur les enjeux liés à la transition énergétique et leur rôle en tant que citoyen. Aussi, la socialisation à travers les différentes rencontres des explorateurs, les ateliers et réunions a engendré un sentiment général de rapprochement vis-à-vis des autres membres de la communauté mais aussi entre les communautés entre elles. En effet, des liens sociaux nouveaux se créent et cela en dépit d’une hétérogénéité culturelle importante, tel qu'à Volta-taqa et au Coin du balai.

De plus, l’analyse a montré qu’il existe une convergence en termes de rationalité en valeurs au sein des trois communautés, autrement dit, indépendamment du niveau de précarité les trois CdE se construisent sur l’idée centrale d’un partage des bénéfices liés à la production en faveur des personnes en situation de précarité énergétique.

Pour ce qui est des différences, la corecherche a souligné que l’auto-perception du périmètre de la CdE varie d’un contexte à un autre et se cristallise notamment sur le degré d’ouverture de la Communauté d’énergie. La corecherche compare trois périmètres à échelles différentes : l’échelle d’un habitat groupé, d’une cabine basse tension et d’un quartier. De même, l’auto perception de chaque CdE de sa propre capacité d’agir et de faire changer les choses dépend grandement des éléments constitutifs de chacune d’elles et le degré d’autonomie /dépendance acquis.

Au niveau des ménages, les actions de flexibilité et de sobriété dépendent de nombreux paramètres : composition du foyer, équipements, présence à domicile, météo… La question de savoir si le niveau collectif permettrait d’accroître les capacités de sobriété et de flexibilité doit encore faire l’objet d’une analyse plus poussée.

Par ailleurs, tous ces enseignements tirés de la co-recherche ont également mis en exergue de nombreuses tensions et paradoxes parmi lesquels la tension entre la technique et le social. En effet, si la technique est évidemment nécessaire pour faire fonctionner le système électrique, la multiplication des acteurs et des dispositifs rendent compliquée l’appropriation par les usagers. D’un autre côté, il est reconnu par tout le monde que les citoyens doivent être de plus en plus impliqués dans la gestion de l’électricité. Mais cette reconnaissance continue à passer par des dispositifs individualisant (ex. compteurs communicants et signal-prix) alors même que le réseau électrique est collectif, que c’est un collecteur des usages comme le montrent les graphes issus des données du Flukso. Il est étonnant de constater que la plupart des cochercheurs ne veulent pas du compteur communicant de Sibelga mais sont prêts à avoir un tel compteur pour le projet. Ce paradoxe s’explique par le fait que la recherche vise précisément à analyser dans quelle mesure il serait possible de se passer de compteurs individuels pour réaliser des opérations d’autoconsommation collective. Comme l’électricité (et l’énergie) est invisible, que ses infrastructures ont été historiquement invisibilisée, l’appropriation de la question énergétique passe sans doute par des formes de visibilisation de l’électricité. En ce sens, les CdE sont des assemblages sociotechniques territorialisés qui cherchent à se rendre sensibles aux flux d’électricité qui les parcourent et les constituent.

L’analyse de l’ordonnance a montré que celle-ci propose une approche de la constitution des CdE procédurale et assez mécaniste. Or les CdE ont besoin de soutiens extérieurs afin de créer des relations sociales durables en leur sein. La construction de ce réseau local (qui outre les éléments techniques comprend des humains) ne se fait pas spontanément et demande beaucoup de temps. Mais c’est à cette condition que ces communautés seront plus résilientes vis-à-vis d’un défaut du système électrique. En tous les cas, nous observons une tension entre, d’un côté, la délégation des décisions à un système technique et, de l’autre côté, la volonté de faire confiance aux actions humaines. Il nous semble que pour faire de l’énergie un lien social, il s’agit de se passer au maximum des intermédiaires techniques.

Par ailleurs, ces paradoxes inhérents au système énergétique bruxellois ont encouragé les cochercheurs à réfléchir à des types d’action qui pourraient être mis en place collectivement. En effet, comme déjà souligné, il existe une profonde volonté de changer les choses mais qui se heurte à une grande inertie (inhérente aux bâtiments et infrastructures). Cependant il est important de noter que cette volonté d’agir contraste avec un sentiment de désengagement de l’Etat. Les communautés d'énergie sont considérées par beaucoup de cochercheurs comme des « cacahuètes » par rapport à la libéralisation du marché des énergies.

La transformation nécessaire du système électrique pourrait-elle aller plus vite avec la voix des habitants au centre du pilotage du système ? Un certain nombre d’explorateurs désirent porter leurs revendications au Parlement. Au quartier de Boondael l’idée d’interpeller la commune et la région a été soulevée à plusieurs reprises également. Toutefois, ces revendications ne sont pas encore très claires. Il restera donc pour ces prochains mois à poursuivre l’élaboration de la stratégie de politisation avec les cochercheurs tel que cela a déjà été présenté dans le plan de valorisation.

 

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