Constitution et relations

Éléments constitutifs des CdE

Cette partie reprend les questions : 

  • Qu’est-ce que « faire communauté » autour de l’énergie ?
  • Quels sont les éléments constitutifs de la CdE ?
  • Comment le projet VdE modifie-t-il les entités et les relations existantes de la CdE ?

Une contrainte créative du projet est d’explorer d’autres voies que le modèle technico-économique qui nous est le plus souvent proposé. Ce modèle repose sur l’idée que les communautés d’énergie sont avant tout de nouveaux acteurs du marché et que les participants doivent pour ce faire s’équiper d’un compteur communicant. Nous explorons d'autres manières de faire communauté sans établir une comptabilité individuelle avec des idées comme l’inclusion sociale et la mutualisation des ressources.

Chaque CdE a son histoire, ses protagonistes, son quartier et ses objectifs. Toutes choses indispensables pour comprendre la manière dont elles ont exploré les questions de recherche. Voici en quelques paragraphes, la genèse et le développement des 5 CdE.

Pilone se situe dans le Quartier Midi, très dense et socialement mixte, transformé par les vagues successives de migrations, liée au public fragilisé très présent dans un quartier de gare. Le quartier est soumis aujourd’hui à la pression immobilière (bureaux) et à une certaine gentrification. Néanmoins le quartier demeure très varié socio-culturellement, ce qui le rend très vivant et dynamique, avec la présence de nombreuses associations culturelles et communautaires, et un tissu social (ré)actif et dynamique face aux divers plans et interventions de l’État.

La communauté d’énergie est encore en construction, mais elle a déjà une longue histoire, faite de multiples interventions de City Mine(d) dans le quartier : exposition, projet de pile mécanique (objet co-construit de démonstration publique), événements électriques, toutes-boîtes, multiples rencontres et réunions avec les habitants et les acteurs pertinents, session de cartographie collaborative “Heat Map” afin de trouver les endroits les plus propices à l’émergence de CdE dans le quartier… La cartographie a identifié trois lieux pour la constitution de CdE, avec des bâtis et des activités distinctes (logements sociaux, école, CPAS, commerces, lieux de vie publics, installations PV existantes ou en projet).

Bien que l’accroche rassembleuse du groupe de personnes voulant concevoir ensemble une CdE sous le nom Pilone se soit faite initialement via la possibilité d’avoir des panneaux PV, il s’est très vite avéré que la communauté se bâtira sur d’autres bases que la seule question énergétique, celle-ci devenant un moyen pour assembler des liens entre les comités, collectifs et diverses associations qui peuplent le quartier. La constitution d’une CdE apparaît comme un projet fédérateur, comme une possibilité de construire du commun et de renforcer les liens locaux, contribuant potentiellement non seulement au développement durable du quartier, mais aussi à son développement social et peut-être même économique. Le vrai moteur de la communauté c’est le quartier. L’énergie est un sujet motivant et fédérateur, tant qu’on y voit un intérêt collectif. De nombreuses discussions ont eu lieu à propos de ce qu’il convient de faire ensemble, notamment lors des réunions hebdomadaires « sundwich », animée en intelligence collective et discussions ouvertes : créer une “centrale électrique” locale, durable, économique et solidaire ; former des installateurs de PV certifiés  dans le quartier ; calculs et simulations de la répartition d’électricité (autoconsommation collective); cartographie du potentiel solaire ; intégration dans le Contrat de Quartier Durable ; Groupe d’Épargne Collectif et Solidaire (GECS) pour donner la possibilité aux personnes ayant des ressources financières limitées de pouvoir acheter des électroménagers performants ou installer du PV ; etc. Toutes ces démarches ont été prises suite aux questionnements et discussions issus des « sundwich », afin de creuser la pertinence des différentes pistes pouvant mener vers une CdE « intégrée »1 (= la contrainte créative ). Afin d’assurer la continuité de l’animation du groupe et du suivi des questions  plus techniques, il a été décidé collectivement d’engager 2 personnes initialement bénévoles sur le payroll de City Mine(d) (Chloé Verlinden et Jan Spriet).

Pilone allie créativité et souci social. La dizaine de personnes active dans le noyau dur de Pilone sont surtout des habitants propriétaires, parfois équipés de PV, avec souvent des professions intellectuelles, mais on y trouve aussi des locataires, des travailleurs sociaux, des membres de comités de quartier… Les participants à Pilone ne se connaissaient pas avant ce projet, avaient parfois très peu de connaissances ou même d’affinités avec le sujet des énergies renouvelables et ont tissé au fil des rencontres et des activités des liens et commencé à travailler ensemble. Ce parcours partagé (apprentissage collectif des réalités des uns et des autres et de la place qu’une CdE pourrait prendre dans le paysage électrique) installe un rapport de confiance, qui permet la convergence d’intérêts et la volonté de mettre des biens en commun (dans l’intérêt du quartier).

Aujourd’hui, en juillet 2021, le projet est motivé par plusieurs intérêts qui fédèrent Pilone et pour lesquelles, en mode recherche-action participative, plusieurs pistes sont toujours en exploration afin de les concrétiser : entraide, solidarité entre producteurs et non-producteurs du quartier, définition de « meilleurs » usages pour les « surplus » (= l’électricité non utilisée directement par son « producteur local »), achat collectif de PV, accompagnement administratif et financier pour l’installation de panneaux PV (GECS), professionnel (générer de l’emploi/des formations), politique (amplifier la voix des habitants du quartier), projet exemplaire en matière d’écologie (diminuer l’impact négatif de la pollution sur les générations présentes et futures). L’intérêt économique est intimement lié à un intérêt social : les bénéfices créés par la CdE devraient être réinvestis dans le quartier, notamment pour lutter contre la précarité et les inégalités sociales.

 

L’Échappée est un habitat groupé de 18 familles, depuis 2015, qui est situé près de Tour & Taxis, dans un quartier socialement mixte, au tissu associatif fort. Ce projet s’inscrit dans une critique du modèle actuel d’habitat ; critique qui débouche sur la volonté d’opérer des choix qui facilitent la capacité à faire face et à résister aux changements de leur environnement dans un contexte urbain. Le cohabitat est basé sur les valeurs de solidarité, respect, convivialité, qualité de vie, écologie et participation dynamique collective. Il fonctionne avec des réunions régulières : assemblées générales, « mingas » (journées de travail collectif dans les communs), groupes de travail, ciné club, apéros… Ces réunions sont fréquentées de manière variable, tout comme les réunions avec VdE. Lors de la construction des bâtiments, Marc (l’expert local en énergie) a suggéré de placer des panneaux PV de 3X15 kWc. Cette installation est reliée à 3 compteurs individuels qui alimentent les communs (buanderie commune, atelier commun, salle polyvalente) ainsi que la VMC (ventilation mécanique contrôlée, qui consomme beaucoup). Cela permet d'augmenter le taux d'autoconsommation à 40%.

Lors de l’arrivée de VdE, le groupe « transition écologique » ne se réunissait plus, n’avait en fait jamais vraiment fonctionné. VdE s’est présenté comme l’opportunité pour ouvrir un chantier qui en principe les intéressait. La recherche est passée par une série d’étapes. Au départ, il s’agissait d’étudier comment augmenter son autoconsommation pour moins dépendre du réseau, pour plus utiliser localement et pour partager un avantage avec des gens qu’on connait. Vu l'aspect assez comptable et non nécessaire de cet objectif, l’Échappée a décidé d’explorer d’abord ses propres consommations, au niveau de chaque ménage – tout en interrogeant la résilience apportée par les panneaux PV. Les « échappistes » ont d’abord exploré leur consommation en faisant la liste des appareils qui consomment chez eux, en priorisant leurs usages (indispensable, utile, confort), en indiquant leur flexibilité et en estimant leur consommation (via des wattmètres qui ont circulé). Après avoir réfléchi à la possibilité de quotas d’énergie par ménage, ils ont lancé en juin 2021 le mois du « défi énergie », avec les mesures hebdomadaires des consommations électriques de chaque logement. Les résultats seront analysés en groupe lors de la prochaine réunion.

La participation aux réunions a été variable, entre 3 et 12 personnes, avec en tout une vingtaine d’adultes venant à l’une ou l’autre réunion. La phase de design de la recherche a attiré peu de monde, mais une fois les expérimentations lancées, le nombre de personnes impliquées a considérablement augmenté. La perspective de réaliser des choses « concrètes » amène plus de monde aux réunions. La dernière réunion a clarifié les différentes pistes que pourrait maintenant emprunter l’Échappée en tant que CdE : journée/période sans électricité, partage avec le quartier (via une cartographie), construire un signal collectif de l’état énergétique de l’Echappée, s’équiper en Fluksos, stockage, mutualisation des usages, quotas. Ce sont les deux premières pistes qui ont très majoritairement été retenues. On pourrait ainsi voir la CdE se développer de deux façons. Premièrement de manière interne, dans la prise de conscience qu’on est une communauté d’énergie, par l’exploration des modes d’action chez soi, par l’approfondissement du réseau des relations entre activités quotidiennes et consommation d’électricité, et par l’exploration des possibilités de se mettre en phase avec la production. Cette exploration interne va se poursuivre par des périodes sans électricité afin d’en évaluer le caractère indispensable. Deuxièmement, l’Echappée a compris qu’il sera pratiquement impossible de consommer une part plus significative de sa production. Il est alors naturel d’aller explorer le quartier pour voir avec qui organiser une répartition de l’électricité qui soit bénéfique au quartier. Le quartier qui entoure l'Echappée est un quartier anciennement industriel qui comporte un nombre important d'entrepôts et donc beaucoup de toitures plates présentant un bon potentiel pour l'installation de panneaux photovoltaïques. Beaucoup de ces entrepôts sont en cours de transformation pour créer de l'habitat.

 

Au démarrage de la recherche, Volta n'est pas une CdE constituée. Les partenaires de Voisins d'Energie avaient dès le départ la volonté de favoriser la création d'un groupe d'habitants de logements sociaux et d'explorer avec eux la question de la résilience énergétique dans ce contexte particulier. Le lieu retenu a été celui de Boondael de la SISP BinHôme, où opérait déjà l’association Energy4Commons, qui a vu dans le lieu un laboratoire idéal pour aborder la précarité énergétique dans les logements sociaux. En effet, le quartier est animé par des projets structurants d’intégration et de solidarité comme le Repair Café, le Café Solidaire et le jardin potager partagé 'Multi'potes', même si la dynamique sociale s'est dégradée ces dernières années pour différentes raisons. Energy4Commons a lancé début 2020 son projet ElectriEfficiency qui cherchait à travailler sur le terrain les questions de l’accès à l’énergie, de la précarité énergétique et de la démocratie énergétique. Mais l’association rencontrait des difficultés à discuter et échanger avec BinHôme. L’arrivée de VdE a permis de débloquer la situation, via des contacts personnels.

Les bâtiments de BinHôme dans le quartier sont constitués de 4 blocs de logements sociaux à Boondael qui comprennent 194 ménages, soit 470 personnes dont 133 enfants de moins de 18 ans. Certains immeubles viennent d'être rénovés, certains sont en cours de rénovation et d'autres n'ont jamais été rénovés. Enfin, quelques logements sont actuellement inoccupés ou squattés (dernières expulsions fin juin pour pouvoir entamer des travaux). Les immeubles rénovés ont été équipés de panneaux solaires thermiques. Des investissements en panneaux solaires photovoltaïques sont prévus.

En articulation avec VdE, Volta se développe selon plusieurs angles, avec l’idée toujours présente d’impliquer les locataires dans la question énergétique, et d’analyser la situation avec BinHôme. Le projet ElectriEfficiency vise à diagnostiquer, identifier et mettre en place des solutions d’utilisation rationnelle de l’énergie, susceptibles de réduire la consommation électrique des foyers en situation de précarité énergétique. Le diagnostic réalisé récemment grâce à des données livrées par BinHôme est sans appel : les locataires sont deux fois plus en précarité énergétique (58%) que le taux moyen en région bruxelloise (28%), pourtant déjà très élevé. Des ateliers bimestriels avec des locataires ont commencé depuis le déconfinement en avril, organisés par le centre CASE de la FdSS et sur base de la méthode « écowatcher ». Les ressources utilisées pour mobiliser les habitants sont : Flyers, articles dans Le Fil (journal de BinHôme), porte à porte, téléphone, info au café solidaire, le Volta-Bike, et les outils des ateliers. Les questions collectives seront progressivement abordées au cours des échanges, notamment en introduisant le fait qu’il y aura des panneaux PV sur les toits des immeubles. Nous formulons l’hypothèse que pour aborder la question collective de l’énergie (mutualisation des usages), il faut d’abord saisir sa consommation individuelle et sa valeur.

 

L'Institut Sainte-Anne est une école fondamentale du réseau libre située au cœur de la commune d'Etterbeek et qui a su garder le caractère d'une école de quartier. 80% des enfants qui fréquentent les 8 classes maternelles et 13 classes primaires habitent à moins de 2 km de l’école. L’école affiche un indice socio-économique de 12/20 (10 étant la médiane), mais le profil des élèves est assez hétérogène, reflétant ainsi la variété du bâti (logements sociaux, appartements, maisons unifamiliales). 38 nationalités sont représentées parmi les élèves, ce qui est d’une grande richesse et contribue à l’ambiance très agréable de l’école. Les populations plus favorisées sont plus réactives aux thématiques environnementales.

En 2018, l'Association des Parents de l'Institut Sainte-Anne a imaginé et mis sur pied un projet participatif qui a permis l'installation de panneaux PV sur une des toitures de l'école pour une puissance nominale de 12 kWc, avec un taux d’autoconsommation de 27,5%. Dès le début du projet, le groupe de travail est conscient du fait que seule l'électricité immédiatement autoconsommée sera valorisée pour l'école et que l'essentiel de l'électricité produite par cette installation de juin à septembre sera renvoyé sur le réseau, sans être valorisée par l'école. Selon un comptage quart horaire, ce sont quelque 8.000 kWh qui est rejeté annuellement sur le réseau et qui constitue l'enjeu du volet technique du projet de partage d'énergie. Les premières réflexions ont eu lieu sur les moyens pour permettre à des tiers de profiter de cette énergie : installation de bornes pour vélos électriques en haut de la cour de l'école, de bornes pour voitures électriques dans la rue et plusieurs autres projets qui se heurtent à la réglementation.

L’arrivée de VdE a suscité l’établissement d’un groupe de travail constitué du directeur, d’un ancien administrateur du Pouvoir Organisateur et de trois parents d’élève. Ils ont initié des réflexions sur le partage d'énergie avec les voisins directs de l'école se trouvant idéalement sur la même cabine basse tension, en cherchant une forme de valorisation non financière de leur production puisque les CV garantissent aujourd'hui la rentabilité de l’installation. Rapidement, le profil spécifique de production d'une école qui est fermée les week-ends et pendant les congés scolaires a posé question : une grande partie de la production se passe entre mai et septembre alors que l'école est partiellement fermée, voire complètement fermée. Pour parvenir à partager la puissance électrique qui est produite tout au long de la journée en juillet et en août, il faut trouver beaucoup de petits consommateurs alors qu'à cette période, la plupart des gens sont en vacances et les besoins en électricité sont réduits. L’exploration s’est alors tournée vers les grandes enseignes présentes dans le quartier (Carrefour, Delhaize , FreshMed, …) qui consomment de manière constante, 7 jours par semaine et été comme hiver, notamment via leurs installations frigorifiques. Ces entreprises ont été identifiées comme les consommateurs idéaux, même si leurs exploitants ne sont pas les partenaires écoresponsables visés par l'école.

L'idée était alors de leur proposer l’électricité excédentaire en échange de leur participation au minimum financière à un projet durable de quartier à convenir ensemble : participer à la verdurisation du quartier, installer des bornes publiques de chargement pour véhicules électriques, soutenir financièrement un projet tiers … Les gérants des enseignes du quartier semblaient souvent intéressés par le projet, mais leurs maisons mères nettement moins et  ne donnant par leur aval au projet. Il faut dire aussi que ces démarches ont été faites en pleine crise sanitaire. Suite à diverses explorations, le traiteur Dehaene situé à proximité de l'école et qui dispose d'un nombre important de machines de froid (climatiseur, réfrigérateurs et surgélateurs) a été contacté. La proposition de partenariat a directement été reçue avec enthousiasme par les Dehaene, dont l’activité est centrée sur le service traiteur haut de gamme pour les réceptions d’affaires et les repas professionnels.

 

Le Coin du Balai est un quartier se situant à Watermael-Boitsfort à l’orée de la forêt de soignes qui comporte environ 800 habitations et 3000 habitants. C'est un quartier anciennement ouvrier qui concentre une série de petites maisons construites pour et par des familles ouvrières entre 1880 et 1920. Le quartier s’est considérablement gentrifié depuis une vingtaine d’années, mais il demeure une mixité relativement forte entre des personnes aisées, des habitants du CPAS, des personnes handicapées, des artistes, des colocations… Depuis plusieurs années, un comité de quartier organise une vingtaine d’activités écologiques, sociales et festives qui sont menées par des groupes d’habitants.

Dès 2009, une dizaine de ménages se sont équipés de PV, suite à une opération collective et l’analyse du marché. Le nombre de PV n'a cessé de croître dans le quartier et atteint aujourd'hui 40 à 50 maisons pour un total d’environ 100 kWc. Des réflexions collectives ont aussi lieu sur la mobilité : projet de covoiturage de quartier (Comobil), voitures Cambio introduites très récemment dans le quartier grâce aux démarches d’un groupe d’habitants, possibilité d’un achat groupé d’une ou deux voitures électriques qui devraient remplacer 8 à 10 voitures individuelles et qui devraient être alimentées par des panneaux PV existants ou à installer.

L’embryon de la CdE est constitué d’un petit groupe d’habitants motivés par le développement durable et la participation citoyenne, et ayant conscience des risques d’effondrement de la biodiversité. Lors des premières discussions, les questions ont tourné rapidement autour des dimensions collectives de l’électricité : transition et autonomie énergétique, comment réduire sa consommation et consommer quand on produit, prendre conscience et connaissance qu’il y a une possibilité de partager l’énergie, connaître la consommation et la production au niveau du quartier. Progressivement, les objectifs de la CdE se sont formulés comme la connaissance de ce que consomme le quartier et, dans un deuxième temps, comme l’expérimentation de niveler les pics de consommation lors d’un signal d’alerte au niveau du quartier. Grâce à une intense collaboration avec Sibelga, un compteur est en train d’être placé sur une cabine basse tension du quartier qui dessert environ 250 habitations. Par ailleurs, un toute-boîte expliquant le projet et proposant l’installation d’un Flukso a permis d’intéresser plus de voisins. Ces Fluksos sont installé par une personne du quartier, électricien de profession, formé par Frédéric (partenaire Beams).

Le nombre total de personnes ayant participé à des réunions s’élève à 10 environ. Mais la CdE a bon espoir de pouvoir s’agrandir, notamment en faisant de l’électricité une question collective. Beaucoup de personnes ont installé des panneaux PV, mais c’est généralement pour un intérêt personnel et non collectif. Une première expérimentation vise à envoyer un signal collectif indiquant de faire un effort collectif pour réduire les consommations d’électricité et ceci pour éviter un risque (dans ce cas-ci fictif) de rupture dans l’approvisionnement énergétique. Les Fluksos et le compteur Sibelga permettraient de mesurer et comprendre comment se réalise cet effort collectif.

La CdE réfléchit à la mise en place d'une opération d’autoconsommation collective, mais sans compteurs communicants individuels dans les ménages ayant des installations PV. L’idée serait de développer une forme d'autoconsommation collective qui concernerait toutes les habitations en aval de la cabine basse tension et avec une comptabilisation qui se ferait à partir de cette même cabine. Il y aurait donc un seul compteur communicant installé sur la cabine basse tension. Les bénéfices engendrés par cette autoconsommation collective reviendraient au collectif, c'est-à-dire à la communauté d’énergie dans le but soit de reverser les profits pour des associations dans le quartier soit pour des personnes en situation de précarité énergétique ou encore de développer un projet qui profite au quartier.

 

L’analyse transversale de la constitution de ces 5 CdE permet d’identifier des similitudes et des différences.

Le périmètre de la CdE est souvent défini par un périmètre électrique (une cabine basse tension, plusieurs adjacentes ou une cabine moyenne tension) qui rassemble des habitants/usagers, des panneaux PV (présents ou en projet), des appareils consommateurs d’électricité, différents types de compteurs. Les CdE se constituent par la mise en relations d’entités productrices et/ou consommatrices.  Ces relations sont variées et peuvent passer par des associations ou des institutions existantes pour aider une CdE qui cherche à s’étendre à le faire (Pilone, Volta, Coin du Balai, l’Échappée dans sa seconde phase). A cet égard, on peut également noter qu’au plus les objectifs sont clairs et la stabilité du groupe de départ est forte, au moins la CdE tâtonne dans ses prises de contact pour élargir le groupe et au plus elle a une idée claire de vers qui aller pour élargir le groupe.  Par ailleurs,  les CdE telles que  Pilone et Volta, qui désirent constituer une CdE inclusive et donc s'intéresser à tous les habitants d’un quartier mixte, doivent de fait développer une hétérogénéité sociale au sein de la CdE. Une série d'asymétries (connaissances, pouvoir, réseau social…) doivent être réduites, et cela prend du temps. Cette démarche est évidemment plus complexe car elle nécessite en effet de mettre en place différentes approches pour intéresser des publics forts différents.

Dans chaque CdE, des groupes existaient déjà, une dynamique sociale préexistait à l’intervention de VdE. Une CdE repose souvent sur un petit nombre de personnes moteurs, et doit posséder un minimum de compétences techniques pour au moins ne pas avoir peur des chiffres. Dans chaque CdE, des éléments neufs et concrets doivent être apportés pour intéresser de nouvelles personnes. L’utilisation d’objets intermédiaires est assez intensive et est rendue nécessaire par le caractère techniques des interventions à imaginer : wattmètre, Flukso, cartographie, interventions publiques, signal d’une cabine basse tension… Durant leur constitution, les CdE apprennent que le système électrique est assez rigide, fait d'un réseau et de cabines qui ne se modifient pas aisément, et d'une série d'autres contraintes (multiplicité d'acteurs, marché, conditions de placement des PV…). Les CdE se rendent compte rapidement que l'usage du réseau est presque incontournable et cherchent à repenser leurs activités collectives et quotidiennes pour avoir un impact là où ils peuvent en avoir un à savoir les flux d'électricité.

L’existence d’un socle de valeurs et d’envies communes (développement durable, créer du lien, être acteurs de la transition énergétique) a constitué un élément essentiel pour ouvrir la discussion sur la constitution de chaque communauté, au même titre que des liens de confiance entre les membres des CdE (mais pas forcément pour toutes d'entre elles).

Chaque CdE développe un récit pour se rendre désirable. Souvent le constat qu’on partage le réseau électrique, qu’on est « voisin de câble », est un point de départ pour penser le collectif. Par ailleurs, les prosumers se demandent comment augmenter leur autoconsommation, avec qui « partager » ce qu’ils rejettent sur le réseau et qu’on leur rachète à un prix qu'ils estiment trop bas. Une série de questions présentées ci-dessous portent alors sur les liens entre production et consommation d'électricité.

Avantages sociaux générés par le développement des CdE 

Les Directives européennes qui prévoient la constitution de CdE indiquent que celles-ci doivent "fournir des avantages [benefits dans la version anglaise] environnementaux, économiques ou sociaux à ses actionnaires ou à ses membres ou aux territoires où elles exercent ses activités, plutôt que de rechercher le profit". Mais que faut-il entendre par « avantage social » qui ne se réduise pas à une considération économique ou environnementale (pour lesquels nous avons des indicateurs relativement clairs) ? Il n'est pas facile de répondre à cette question, mais elle nous semble importante pour ne pas réduire les CdE à des entités uniquement technico-économiques. Que faut-il entendre par social ? Ce terme renvoie à des rapports de force entre groupes sociaux, à des inégalités structurelles. Qu'est-ce alors un "avantage social" ? Est-ce un bénéfice qui permet de réduire la fracture sociale, d'opérer certaines formes de redistribution, de créer du "lien social"… ?

Cette question de l’avantage social fait écho à une question posée initialement : « comment faire de l’énergie un lien social ? » Progressivement, notamment suite à la réflexion sur le « partage » (voir ci-dessous), la question a paru naïve : de fait, il existe des liens sociaux via l’énergie : les relations aux fournisseurs, au GRD, via le réseau électrique qui équilibre production et consommation. La question qui se pose alors est : « Comment une CdE peut-elle modifier les relations sociales ? ».

Elle comprend les questions suivantes :

- Quelles sont les relations sociales (entre personnes et/ou acteurs) créées par la CdE ? Quelle est la nature de ces relations ?

- Comment la CdE contribue-t-elle à renforcer le tissu social du quartier ? Quels sont les effets la CdE sur la cohésion sociale?

- Comment les asymétries (pouvoir, connaissance, réseau social…) sont-elles réduites ?

- Comment s’identifie-t-on à la CdE ? Via une appartenance au quartier, à une association, à des relations interpersonnelles ?

 

Quand on parle d’avantage social, il s’agit de distinguer les espoirs (les objectifs que peut se donner une CdE) et ce qui est accompli dans le développement d’une CdE. Certains avantages peuvent déjà être observés, d'autres devront l’être à plus long terme. Commençons par la description des espoirs.

Quand on parle de partage d'énergie à des personnes aisées, elles pensent spontanément à partager avec des personnes précarisées ou des associations dans le besoin (ex. réfugiés) comme en témoignent l’Échappée et le Coin du Balai. Autrement dit, si on donne le pouvoir aux usagers de flécher leurs surplus d’électricité, ils désirent faire "œuvre sociale". Mais la question de la solidarité est aussi présente dans les autres CdE. Elle est très présente dans les discussions de Pilone qui formule l’espoir de toucher toutes les couches sociales et de contrer certaines inégalités dans le quartier.

Même si le groupe d’habitants de Volta n’est pas encore stabilisé, les acteurs de la CdE potentielle sont en place et partagent une volonté commune d’explorer ensemble les opportunités qu’offre l’installation de PV de créer des dispositifs de solidarité énergétique. Cela représente un réel changement dans la relation entre BinHôme et ses locataires. En effet, habituellement cette relation est horizontale, contractuelle et très administrative et plutôt paternaliste de l’aveu même de la direction de Binôme. Il s’agit d’une relation de propriétaire à locataires à laquelle se superpose une relation d’aide entre une institution publique et des personnes en situation de précarité économique. On perçoit aisément que ce type de relation est asymétrique, que BinHôme a de fait un pouvoir institutionnel sur ses locataires. Entrer ensemble dans un projet de recherche en co-création représente donc un défi pour les deux parties, de nouvelles relations à instaurer.

Le noyau porteur de la communauté d’énergie au Coin du Balai aimerait pouvoir inclure autant que possible la diversité des personnes qui habitent le quartier.  Il y a donc une volonté de créer une communauté d’énergie inclusive. Cependant, le noyau se rend compte que de manière générale ce sont souvent les mêmes personnes qui sont à l’initiative des projets menés dans le quartier. Ces mêmes personnes sont celles qui font pour la plupart partie du comité de quartier du Coin du Balai. Il y a donc cette volonté d’atteindre un autre public de milieux sociaux et économiques différents, mais aussi un public plus jeune. En effet, actuellement le comité de quartier est surtout composé de personnes en fin de carrière où à la retraite et il y a une réelle volonté que plus de jeunes s’impliquent dans la vie du quartier et dans les projets collectifs qui y sont menés. Il semblerait donc qu’à ce stade-ci du projet, en ce qui concerne les relations entre les habitants du quartier, le projet de communauté d’énergie comme pour les projets collectifs développés antérieurement voit participer les mêmes personnes, même si l’espoir persiste de faire des CdE les lieux d’une démocratie plus directe.

 

Heureusement les CdE n’en sont pas réduites à espérer, elles fabriquent déjà activement des « avantages sociaux ». La première CdE à peu près achevée, Sainte-Anne, montre combien le lien social est important dans sa constitution. Dans le projet de la communauté de Saint-Anne, la solidarité se crée via un système de don et de contre-don. Le partage d’électricité est ainsi définanciarisé, même si l’idée est tout de même que la valeur du don et du contre-don se base sur leur valeur monétaire pour ne pas être complètement déséquilibré. L’idée est avant tout, dans le cadre de ce projet, de se rendre mutuellement un service. D’un côté, l’école ne devra plus se soucier du catering pour un ou plusieurs de ses évènements et, de l’autre, le traiteur recevra de l’électricité gratuite, verte et locale, ce qui à la fois en termes d'image, mais aussi de cohérence avec les valeurs personnelles du traiteur, lui est bénéfique. 

C'est ce service qui constitue la vraie valeur du partage pour ces deux acteurs, et non pas un quelconque avantage économique. D'ailleurs, le traiteur le dit lui-même : concernant le catering pour une fête d'école, il ne va pas aller rouspéter s’il fournit un peu plus de sandwiches que la valeur de l’électricité reçue. Les partenaires de l'ISA ne pensent pas autrement. C'est la même philosophie de partage qui les anime.

Ces aspects, qui ne se réduisent pas à une valeur économique quantifiée, sont difficiles à préciser dans un contrat et ne sont donc pas mentionnés dans la convention. Ils sont pourtant observables, comme le montrent les autres CdE.

Dans la mesure où des liens sociaux préexistent (souvent des liens qui révèlent des inégalités sociales, des asymétries de pouvoir), les CdE viennent révéler et parfois modifier les liens sociaux existants. Tout d’abord, elles transforment les histoires et vécus personnels de chacun en données et problèmes collectifs. Les relations que chacun a au départ vis-à-vis de l’énergie sont souvent des relations personnelles, envers son fournisseur, envers le distributeur, l’installateur de PV, etc. Mais au fil des discussions, les explorateurs adoptent un regard plus « systémique » et collectif de l’énergie. Dès lors que la CdE adopte cette approche plus collective, elle se sent moins impuissante, et elle entrevoit des actions possibles. Par exemple, après avoir rejoint le groupe durant plusieurs mois, une exploratrice de Pilone a acquis assez d'éléments de compréhension et de confiance en elle pour diriger sa copropriété vers l'installation de PV et motiver ses cohabitants à monter un projet de partage des surplus de production, plutôt que d'investir dans une batterie.

Le cas de l’Échappée est intéressant à analyser car il est difficile de voir quels sont les avantages sociaux qu’apportent la CdE. Celle-ci a en effet d’abord été définie selon le périmètre strict de l’habitat groupé. Les travaux de VdE ne venaient pas combler un manque de relations sociales, déjà très intenses. Si on entend avantage « social » par la création et/ou modifications de liens entre les habitants, il n’y en a pas vraiment eu d’après les "échappistes". En effet, pour ceux-ci, l’arrivée du projet Voisin d’Énergie et le développement de la communauté d’énergie n’ont pas modifié ou créé plus de relations qu’il n’y en avait au départ, c'est-à-dire avant l’arrivée du projet. Cette observation est assez logique puisque l’Echappée forme déjà en quelque sorte une communauté qui rassemble des personnes qui ont déjà à la base une volonté de vivre et de partager ensemble avec des relations fortes entre eux. Par contre, il serait intéressant d’observer dans le futur si des liens potentiels pourraient être créés et/ou modifiés non plus au sein de l’habitat groupé, mais entre celui-ci et le quartier environnant dans la prochaine phase d’ouverture de la communauté d’énergie au quartier.

A un niveau général, nous observons que le fait de pouvoir décider à qui on attribue le surplus d’énergie dont on est propriétaire constitue un vecteur potentiel de nouvelles solidarités, de cohésion sociale et de mise en lien avec des acteurs situés non loin de chez soi, pour autant que l’on offre un avantage (financier ou non) à cet ou ces acteur·s (peu importe si l’on reçoit quelque chose en retour ou pas) et que l’on ne reproduise pas la logique purement commerciale qui prévaut dans la relation entre un fournisseur « classique » et ses clients.

L’identification au quartier semble être un liant particulièrement fort dans toutes les CdE. Cette identification est renforcée par la structure du réseau électrique qui est divisé en périmètres relativement restreints. Une question centrale pour Pilone est la politisation, au sens où la CdE est perçue comme un levier pour renforcer et redonner du pouvoir à un quartier historiquement fragilisé. L'identification à la CdE Pilone se fait grâce à la motivation commune qui est le quartier. Le moteur de la CdE n'est pas "la transition énergétique", mais le quartier : l'améliorer, générer des bénéfices locaux, mieux vivre ensemble, devenir un quartier pionnier, réduire les inégalités, etc. La contrainte créative posée demande que tous les avantages imaginables liés à la CdE doivent revenir au quartier. Toutes les CdE ne sont pas aussi politisées, mais elles cherchent toutes à générer des avantages sociaux d’une manière ou d’une autre au niveau du quartier. La proximité ne relève pas uniquement celle du réseau électrique mais aussi d’un souci de vivre ensemble.

La question du lien social est omniprésente dès lors qu’on parle de « communauté ». Nous observons que la création de relations sociales est un objet de discussion qui permet d’assembler les gens. Certaines CdE ont augmenté le réseau social de ses participants (Pilone, Ste-Anne, Volta), les autres ont intensifié leurs relations autour de la question de l’énergie (Échappée, Coin du Balai). En ce qui concerne la création de nouvelles relations, la CdE permet parfois à des personnes qui ont, a priori, très peu en commun pour se rencontrer : artiste, échevin de l'énergie, activiste, propriétaires de commerces locaux, etc. Et donc d'élargir leur réseau social. La création de relations peut être suscitée à l’aide d’objets intermédiaires (voir article dans la boite-à-outil). Même si nous pouvons observer que les CdE recrutent parfois de nouvelles personnes qui ne participent pas d’habitude aux activités du quartier, il est toutefois difficile de mesurer les modifications des « relations sociales ». Ces aspects qualitatifs des « avantages sociaux » les rendent difficile à traduire en objets mesurables.

En résumé, nous pouvons observer les « avantages sociaux » suivants : la création de solidarité qui s’évalue en termes de relations qualitatives, la capacitation et l'apprentissage collectif, l’augmentation du nombre ou de l’intensité des relations sociales, la réduction des inégalités demeurant un objectif central dans la plupart des CdE.

Une question importante demeure : comment les relations sociales et autres avantages sociaux peuvent-ils durer ? L’augmentation de la cohésion sociale, par exemple, ne pourra être observée que dans la durée. Une autre question concerne la répartition des avantages sociaux quand ceux-ci ne sont pas stabilisés : comment les répandre plus également à l'intérieur de la CdE ? Par exemple, l'apprentissage, le gain d'expertise et de compétences, l'élargissement du réseau, ne se fait pas de manière égale mais est le plus tangible du côté des partenaires ou parmi les participants les plus présents. La transmission continue des avantages sociaux est donc un réel enjeu.

Quels sont les éléments et processus qui favorisent ou freinent le développement de la CdE ?

Pour répondre à cette question, nous faisons une distinction entre les CdE  déjà constituées au moment de l'arrivée des partenaires et les autres. Et nous mettons de côté des événements contingents qui ont pu avoir des effets considérables sur la constitution d’une CdE. Le covid en est un bien évidemment. Mais on peut aussi y placer la difficulté à trouver un local salubre (Volta).

Les CdE peuvent être relativement simples ou complexes à constituer. Dans le cas de Ste-Anne, un nombre limité d’acteurs volontaires (directeur, association des parents, traiteur) et un dispositif simple (un prosumer, un consommateur) a permis de créer rapidement un récit motivant, des intérêts réciproques et une relation de confiance. De manière générale, nous observons que les communautés d’énergie se tissent autour de trois éléments : 1) un récit motivant, 2) des intérêts réciproques ou communs, 3) un réseau de liens de confiance.

Pilone a particulièrement mis l’accent sur la création de récits motivants, optimistes et rafraichissants par rapport aux discours actuels de développement durable ou de développement de quartier (dont beaucoup se sentent exclus ou sont déjà lassés), tout en s’ancrant dans les réalités du quartier. Ces récits ont été nourris par une série de « rencontres électriques », des rêves recueillis auprès des personnes du quartier, et sont toujours l’objet d’un travail collectif. On retrouve ce type de récit dans toutes les CdE, même s’ils ne sont pas toujours travaillés de manière explicites. Les récits sont essentiels, non seulement pour favoriser l’émergence de la communauté, mais aussi pour maintenir la dynamique tout au long.

La question du commun et des intérêts réciproques est centrale dans beaucoup de CdE. Le fait qu'une CdE soit construite au niveau local avec des acteurs qui ne dépendent pas d'intérêts ou de contraintes supra locale, autour d'un projet à la mesure de l'envie et des capacités partagées par l’ensemble de ses membres, constitue également une élément important qui favorise le développement de la CdE.

Il est important d'avoir un groupe où règne la confiance pour se lancer dans des investissements communs (ne fût-ce que du temps à consacrer au projet). La confiance est créée par la fréquentation répétée de personnes qu’on apprend à connaître, par le partage d’idées et de désirs communs, par l'exploration de pistes de mise en oeuvre de ces idées et désirs, par les questionnements et apprentissages qui se font de manière collective tout le long du processus .

Les groupes constitués (Échappée, Coin du Balai, Institut Sainte-Anne) disposent déjà d’un réseau social et de PV installés : des récits sur la communauté existent déjà, de même que le partage de valeurs communes, d’un mode de fonctionnement déjà en place qui a établi une certaine confiance depuis plusieurs années. La présence de ces différents éléments facilite le développement d'une CdE.

L’échec du projet Kosun de Volt’Face (centrale PV sur la gare de Boitsfort) montre qu’il est parfois difficile de trouver un récit et des intérêts communs, de créer de la confiance. Outre un comité de riverains particulièrement remonté, le projet n’était clairement pas suffisamment participatif pour y arriver.

Le fait que l’électricité est invisible et de réputation compliquée (et dangereuse) constitue un frein au développement des CdE. C’est pourquoi il est souvent important pour une CdE de rendre l’électricité plus concrète. Par exemple, lorsque les Fluksos et les wattmètres sont arrivés au Coin du Balai, on a pu voir dans le voisinage plus d’intérêt envers la CdE. Aussi, dans certains cas (Echappée, Coin du Balai), le développement de l’expérimentation a permis de rentrer dans du concret et de rester accroché au projet. Le récit motivant se transmet aussi par des objets ou des dispositifs (des objets intermédiaires) qui contribuent à rendre visible l’invisible, à rendre plus abordables des sujets a priori complexes, à les ancrer dans la vie quotidienne, et à favoriser l’apprentissage collectif (par exemple l'Expo La Pile, l'aquarelle de La Pile Mécanique, le cartographie collaborative Heat Map, le GECS Électrique...).

Dans la mesure où les CdE se construisent autour de la production d’électricité via des panneaux PV, la situation socioéconomique des habitants peut être un frein à leur développement. La situation des locataires n’est pas simple à surmonter non plus puisqu'ils ne sont pas sûrs qu'ils pourront bénéficier de leurs investissements. Le prix actuel des certificats verts permet de rentabiliser une installation PV, mais comme ce prix est sujet aux fluctuations du marché et qu'il n'est pas dit que ce système existera toujours dans quelques années.  Ce rendement incertain peut expliquer l’hésitation de certains propriétaires.

Enfin, l’investissement en temps est un frein présent dans bon nombre de CdE. En effet, le développement d'une communauté d'énergie demande de trouver du temps pour participer aux réunions, aux activités proposées, etc. La question du temps est rendue encore plus compliquée lorsque la CdE exige la coordination de plusieurs acteurs aux temporalités distinctes (Volta).

L’homogénéité économique, sociale et culturelle du quartier permet d'aller plus vite dans la constitution d'une CdE. Ce n'est cependant pas l'objectif recherché par les CdE du projet.

Comprendre l'hétérogénéité du quartier et identifier les freins socio-économiques (tel que cela a été étudié par Pilone) permet d'affiner le récit motivant, pour arriver à bien envisager les conditions nécessaires pour faire émerger une CdE inclusive

Comment mobiliser des habitants d’un quartier de manière inclusive ?

Dans toutes les communautés (sauf Ste-Anne), l’idéal est que la CdE soit plus ou moins représentative de la diversité des habitants du quartier. La diversité peut renvoyer aux dimensions suivantes : socio-économique, générationnelle, genrée, culturelle… Cet idéal est au départ de La Pile (puis de Pilone) et Volta, et se construit progressivement à l’Echappée et au Coin du Balai. A Ste-Anne, cet idéal a été rapidement abandonné au profit d’un schéma plus simple.

Pour mobiliser les habitants de manière inclusive, La Pile, suivi de Volta ont adopté une approche assez similaire, connectée à la réalité des habitants, ancrée dans la vie locale quotidienne. La participation à une gestion collective d’une communauté d’énergie ne doit pas se limiter à des réunions ou à des formations, excluant une partie des habitants du quartier n’ayant pas certaines ressources ou possibilités. Pilone et Volta ont cherché des pistes "sur mesure" pour impliquer la plus grande diversité d'habitants, notamment via des objets ludiques. En effet, la participation à une communauté dépasse le domaine de l'intellectuel ou du technicien et doit inclure les créatifs, les bricoleurs, les enfants, les parents... La mobilisation se fait donc si possible directement dans les lieux de vie des gens : dans les rues, sur les terrains de jeux, dans les maisons de quartiers, les cafés et ce à tout moment de la journée. De cette manière la mobilisation est parfois lente et énergivore, mais les liens qui se créent sont plus durables et plus forts. 

Dans le cas de Volta et de ses logements sociaux, de nombreuses personnes ont dit être gravement malades ou devant s’occuper d’enfants malades, de personnes trop âgées ou ne comprenaient pas la démarche à cause de la barrière de la langue, de personnes absentes, etc. La mise en place d’ateliers avec des personnes précarisées demande une préparation particulière, et est réalisée grâce à des organisations qui connaissent bien ce public. En outre, la réalisation d’une enquête quantitative a permis de faire un diagnostic statistique de la situation socio-économique et énergétique des habitants de BinHôme dans le quartier Boondael et sert de support à la réflexion au sein des ateliers.

Le noyau actuel du Coin du Balai voudrait élargir la communauté d’énergie et, dans la mesure du possible, inclure au maximum tous les habitants du quartier. Afin de mobiliser un maximum de personnes, le groupe porteur a réalisé une série d’actions (toutes-boîtes, site internet, bouche-à-oreille…). Mais le groupe se rend compte qu’il est difficile d’intéresser des personnes qui ne manifestent pas d’affinités pour participer à ce genre de projet collectif. L’Échappée a la volonté de s’étendre au niveau du quartier et d’être un projet inclusif en intégrant des associations et/ou des voisins d’autres milieux sociaux, culturels et économiques. Cependant, il n’est pas possible à ce stade-ci de répondre à la question du « comment » puisque cette expérimentation d’ouverture dans le quartier n’a pas encore été explorée.

De manière générale, l'homogénéité sociale semble favoriser la constitution d'une CdE mais pour avoir une CdE inclusive, il faudrait inclure dès le départ une diversité sociale. Toutefois, il est difficile d'attirer des personnes sans un projet concret, ancré dans la vie quotidienne des personnes.

En outre, la complexité du système énergétique et d'un partage d'énergie (comprendre les acteurs, la comptabilité des données de production et de consommation,...) constitue également un frein pour constituer une communauté inclusive avec les personnes moins à l'aise avec cette complexité.

Enfin, certains consommateurs consomment peu d’électricité et se demandent pourquoi ils participeraient à un partage d'énergie, étant donné qu'ils consommeraient une très faible part d'électricité locale. Une faible consommation peut ainsi constituer donc un frein à l’inclusivité d'une communauté d'énergie.

Pour quelles raisons les participants veulent-ils « partager » l’énergie ?

Dans cette partie, nous répondons successivement aux trois questions suivantes

  • Quelles sont les significations de "partage" au sein des CdE ? Quelles sont les raisons données pour ce partage : sociale, environnementale, économique, pédagogique… ?
  • Comment partager l’électricité ? A quels usagers et usages attribuer les surplus de production ? Pourquoi ceux-là ?
  • Comment compter le partage ? Quels sont les avantages et bénéfices générés par le partage ou la vente des surplus d’électricité ?

Dans chaque CdE, lorsque les membres apprennent qu’ils pourraient « partager » leur électricité avec leurs voisins, ils songent très vite à le faire avec les personnes ou associations qui en ont le plus besoin (pour les raisons économiques).  Les personnes qui ont une installation et "rejettent" le surplus dans le réseau ne désirent généralement pas s'enrichir en partageant l'électricité, mais ils sont très intéressés à ce que leurs voisins en bénéficient (à condition toutefois qu’ils n’y perdent pas financièrement). Les mots « solidarité » et « mutualisation » ressortent très souvent dans les CdE. Un récit semble motiver beaucoup de gens : le soleil brille pour tout le monde, mais tout le monde n’a pas la capacité d’en capter l’énergie. Ainsi on reconnaît rapidement que chaque habitant n’est pas égal du point de vue de l’orientation du toit ou de son pouvoir d’investissement, par exemple. Les discussions tournent autour de deux idées distinctes de partage : 1) solidarité ou échange de service entre producteurs et non-producteurs, 2) valorisation économique des surplus d’électricité autant pour le producteur (privé ou, à terme, la CdE) que pour les voisins non-producteurs. 

Derrière l’idée de partage, on trouve l’idée de pouvoir « flécher » les surplus de production. Quand on est producteur, on trouve souvent regrettable de ne pouvoir décider à qui attribuer son surplus d'électricité. Il faut toutefois distinguer le partage physique de l’électricité (qui est réalisé d’office avec les voisins immédiats du producteur) et la répartition comptable de l'électricité à partager. Une fois cette distinction comprise, la question se tourne sur les moyens de se répartir les bénéfices d’une opération d’autoconsommation collective.

Des simulations faites par Pilone révèlent certains risques liés à la redistribution de l'énergie sous forme d'autoconsommation collective (ACC) selon les clefs de répartition choisies : risque de déséquilibrer les avantages pour les habitants du quartier ; tension entre vouloir maximiser l’autoconsommation collective et maximiser la réduction sur sa facture ; des ACC peuvent se former à l’intérieur de la CdE (habitats groupés, logements sociaux, copropriétés) qui risquent d’avantager certains usagers. Il existe ainsi une tension entre d'une part l’autoconsommation, qui augmente avec le nombre de participants et d'autre part, l’autosuffisance et le gain économique individuel qui diminue avec ce nombre.

Beaucoup de CdE envisagent un autre partage que le modèle dominant de répartition individuelles des bénéfices de l’autoconsommation collective via les compteurs communicants. Dans les CdE qui comprennent essentiellement des ménages (Pilone, Echappée, Coin du Balai), le partage se fait soit pour améliorer un aspect social (ex. réduire les inégalités) soit pour poursuivre un intérêt collectif (ex.: équipements dans le quartier).

La question de la solidarité conduit les CdE à vouloir revendre l’électricité à un prix avantageux à des personnes ou des projets dans le quartier qui en auraient besoin voire à la donner gratuitement (ex: discussion à l'Echappée, à Pilone, Sainte-Anne), ou encore à leur faire bénéficier de vouchers ou de chèques en monnaie locale (ex: Pilone).

Une autre option envisagée est de constituer un fonds commun grâce aux bénéfices engrangés, et d’en faire profiter le quartier (équipements collectifs par exemple), ou encore de mettre librement à disposition l’énergie produite sur les places publiques (Pilone, Coin du Balai). Ainsi Volta envisage la mutualisation au travers d’une laverie solaire.

Les habitants de l’Echappée ont montré dès le départ un grand intérêt à pouvoir « flécher » les surplus d’électricité produit par les PV de l’habitat groupé et de pouvoir les partager gratuitement dans un but social à des voisins moins bien nantis et/ou des associations, projets qui sont développés dans le quartier. Ceci également pour permettre de nouer plus de liens dans le quartier. L’idée est de maximiser la valeur sociale de l’énergie produite. Cependant, cette étape est encore en cours de réflexion et viendra dans un deuxième lors de la phase d’ouverture de la communauté d’énergie au quartier. De plus, elle a été rendue impossible depuis le mois de mars vu la pandémie.

Au sein de la CdE du Coin du Balai et Pilone, la question du partage de l'électricité se concrétise, dans un premier temps, par une meilleure utilisation de l'électricité au sein d'une partie du quartier (celle reliée à la Cabine Basse Tension de la rue du Rouge-gorge pour Coin du Balai, pour l'axe rue de Suède-rue Vlogaert pour Pilone). Cela nécessite d'abord une meilleure compréhension des consommations dans le quartier et ceci afin de tenter de comprendre dans un second temps comment niveler les pics d'électricité tant au niveau individuel que collectif.

Dans le cas de Ste-Anne, le sens du partage entre l’école et le traiteur s’inscrit dans une contribution à la transition énergétique et écologique en faisant un « acte concret » en la matière et en appliquant du "circuit court" énergétique. Pour les deux partenaires, le projet vient confirmer et renforcer leurs engagements écologiques. En ce qui concerne l’école, le sens est également pédagogique afin de souligner l'importance de continuer à limiter la consommation d'électricité et l'utiliser de manière raisonnable, y compris lorsqu'on la produit – de manière excédentaire à certains moments – avec le soleil. Par ailleurs, le côté "simple", exemplaire et reproductible du projet est une autre source de motivation et de satisfaction pour l'école. En ce qui concerne le traiteur, le sens du partage est d’à la fois participer à une démarche collective, mais aussi de tirer un bénéfice pour son commerce, notamment en termes d’image et comme argument pour obtenir le label entreprise écodynamique bruxellois.

Lors de la mise en œuvre du « partage » de l’électricité il faudra cependant faire attention à l’obligation mentionnée par la Directive qui énonce qu’on ne peut pas faire de discrimination entre les membres d’une même CdE.

Comment compter ? Un certain type de comptage est toujours présent lorsque la CdE aborde les questions pratiques des flux d'électricité : combien d’électricité est produit ? quand ? qu'est-ce qui est consommé, et quand ? Selon les questions qu'elles se posent, les CdE recourent à des mesures plus ou moins précises, mais qui sont toujours plus ou moins arbitraires dans leur découpage spatio-temporel des flux d’électricité : à quelle échelle faut-il compter ? Communautaire ? Compteur individuel ? Annuellement ? Tous les quarts d'heure ? Quelles sont les informations dont une CdE a besoin pour développer son action ? Cela dépend en fait de son action…Par exemple, la CdE de Ste-Anne n'a pas besoin de comptage très précis dans un premier temps car une estimation des volumes suffit pour démarrer. Si une CdE veut que son action soit collective, des questions surviennent rapidement à propos des compteurs communicants. Comment compter sans de tels compteurs ? N'est-il pas nécessaire de synchroniser consommation et production ? Quel est le bon signal pour ce faire ? Des compteurs communicants sont nécessaires à Ste-Anne, tandis que les explorateurs du Coin du Balai et de l'Échappée sont à la recherche de manières pour s'en passer.

Un avantage économique est créé quand des volumes relativement importants d'électricité existent sans besoin d'agréger les données de plusieurs producteurs et consommateurs. C’est le cas de Ste-Anne dont l’objectif était de trouver un ou plusieurs consommateur(s) qui répondrai(en)t à plusieurs critères :

  • Au début, l’idée était de partager l’électricité excédentaire produite par l’installation solaire de l’école avec des consommateurs avec qui cela aurait un sens sur le plan social, mais on s’est ensuite rabattus sur l’idée de ne partager qu’avec un seul ou un nombre très limité de consommateurs, dans un souci de simplifier le projet, tout en gardant cette idée de rester sur un périmètre très local et de tisser des liens avec un ou plusieurs consommateurs du quartier.
  • L’idée étant de faire un partage d’électricité via un système de don et de contre-don, il fallait que la nature du contre-don soit pertinente pour l’école.
  • Le ou les quelques consommateur(s) partenaire(s) devai(en)t avoir un profil de consommation, susceptible de consommer l’électricité produite par l’installation solaire de l’école, aux moments où l’école n’est pas en activité.

 

Aujourd'hui nous définissons une CdE intégrée comme un groupe de citoyens qui: 

1° produit autant d'énergie que possible au niveau local, tout en mettant cette énergie à profit du quartier, créant des bénéfices et opportunités sur plusieurs axes (social, politique, économique, environnemental, professionnel).
2° Ce groupe essaie non seulement de produire, mais aussi d’utiliser l'énergie autrement. Il réfléchit à mettre en place de nouvelles pratiques électriques et des nouvelles manières d'utiliser l'énergie disponible. 
3° La gestion de la communauté est faite par les personnes concernées elles-mêmes.
4° Le groupe motive à être acteur de sa situation énergétique, d’acquérir une voix, de repenser la situation actuelle et de remettre en question les relations de pouvoir.

Voir https://wiki.voisinsenergie.agorakit.org/books/la-pile/page/themes-et-questionnements