L'augmentation du prix de l'énergie

En 2020, le prix de l’énergie s’est effondré en raison de la pandémie du coronavirus, des mesures sanitaires prises un peu partout sur la planète et le ralentissement de l'économie mondiale. Mais en début 2021, les prix de l’énergie explosent. Cette brusque augmentation est due à plusieurs facteurs. Cet article survole ces facteurs qui permettent de comprendre pourquoi le prix de l’énergie connait une telle augmentation.  

Ce qui suit est principalement rédigé sur base de la formation-éclair « Prix de l’électricité et géopolitique de l’énergie » donnée par Adel El Gammal, professeur à l’ULB et secrétaire général de l’European Energy Research Alliance (EERA). Pour voir ou revoir l’enregistrement de la formation, cliquez ICI et pour le PowerPoint d’Adel El Gammal, cliquez ICI.

La présentation de Nicolas Poncin d’InforGazElec, intervenu au sein de la communauté d’énergie Volt’ataqa, a également été sollicitée. Vous pouvez contacter InforGazElec pour toutes questions liées à l’énergie, pour cela, cliquez ICI.

Quelle augmentation ?

Les graphiques suivants (InforGazElec) représentent l’ampleur de cette augmentation du prix de l’électricité et du gaz sur le marché bruxellois.

Les deux premiers graphiques sont consacrés à l’électricité et les deux derniers concernent le gaz. Ces graphiques rendent compte de l’augmentation depuis 2007 à aujourd’hui ainsi que depuis décembre 2020 à octobre 2021.

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Pourquoi une telle augmentation ?

C’est le prix des énergies fossiles qui a considérablement augmenté. On peut consulter le prix du gaz sur les marchés à terme ici. (En cliquant sur le mois, on voit l'évolution du prix de gros. Il est possible de changer l'échelle temporelle).

Le prix de l’électricité à suivi cette augmentation. Une combinaison de facteurs explique ce phénomène. Lors de la formation, Adel El Gammal identifie les facteurs de marché et les facteurs géopolitiques.

Facteurs de marché

Le marché mondial a connu un déséquilibre entre l’offre et la demande d’énergie. Nous nous retrouvons alors avec une offre plus faible que la demande pour plusieurs raisons :

  • La reprise économique qui a suivi la crise sanitaire du COVID-19 a induit une demande énorme en gaz et en charbon, en Asie et particulièrement en Chine. La demande en énergie a augmenté de 8 % entre 2020 et 2021 ;
  • Dans l’hémisphère nord, l’automne 2021 a été particulièrement froid ce qui a provoqué une demande précoce en énergie ;
  • La production des éoliennes a été particulièrement faible ;
  • La production intra-européenne de gaz (nord de la Hollande) a diminué pour des raisons de sécurité suite à des tremblements de terre dus à l'exploitation. 

Outre ces facteurs, le niveau du stock d’énergie a été assez limité en été 2021 pour des raisons assez compliquées à expliquer, selon Adel El Gammal. Une autre raison explique ce déséquilibre : la diminution de la fourniture. Lors de la COVID-19, beaucoup d’opérations de maintenance ont été postposées, ce qui a provoqué des pannes et des réparations non-prévues. Les incertitudes liées au soutien politique accordé à l'exploitation des énergies fossiles ont pour conséquence une diminution des investissements dans les infrastructures d’énergie fossile. Nous sommes donc face à des infrastructures vieillissantes qui sont mal entretenues, ce qui donne lieu à une diminution de la capacité de flexibilité du marché.

Facteurs géopolitiques

La gravité de la situation européenne s’explique par la part toujours largement majoritaire des énergies fossiles dans le mix énergétique européen (plus de 70%). Dans le cadre de la transition énergétique, des infrastructures de production d’énergie renouvelable ont été déployées mais cela ne réduit pas (encore) la dépendance de l’Europe aux énergies fossiles. De plus, la production totale d’énergie en Europe a diminué, ce qui augmente davantage la dépendance de l'UE en approvisionnement énergétique provenant de l'extérieur de l'UE, spécifiquement au niveau des énergies fossiles. Cela fait de l'Europe le continent le plus dépendant des importations d'énergie.

Puisque les prix du marché international grimpent et que l’Europe est très dépendante énergétiquement parlant, les prix du marché européen suivent cette tendance.

En Europe, 50 % du gaz consommé est russe et le reste de la fourniture est assez peu diversifié. L’Algérie fournit également l’Europe en gaz mais sous une forme liquide, beaucoup plus facilement transportable (car cela ne nécessite pas de pipeline), appelé LNG. Lorsque le gaz est transporté par pipeline, les relations commerciales s’établissent de point à point. Par contre, pour le pétrole et le LNG, le marché est beaucoup plus libre.

La Chine, qui a pour politique un développement économique important, a acheté une grande part du LNG disponible sur le marché. L’Europe s’est alors retrouvée en position de faiblesse face à ses fournisseurs traditionnels, en particulier la Russie.

Vu le faible niveau d’offre par rapport à la demande, le Président russe Poutine aurait pu augmenter la production de gaz du pays afin de subvenir à la demande. Mais il n’a pas du tout adopté cette stratégie. Il a « simplement » continué à honorer les contrats à long terme sans augmenter sa production.

La principale raison qui a motivé son choix est issue des tensions géopolitiques entre l’Ukraine et la Russie. La Russie importe le gaz par deux voies principales : le Nord Stream (dans la mer Baltique) et un autre pipeline passant par l’Ukraine. Afin de priver l’Ukraine des droits de passage et pour d’autres raisons géopolitiques, V. Poutine a fait construire le Nord Stream II, pipeline qui contourne l’Ukraine. Ce pipeline est construit et techniquement fonctionnel, mais Poutine a besoin de l’accord de l’Europe pour le mettre en service alors même que l'UE veut soutenir l'Ukraine. Ne pas augmenter la production de gaz est un moyen pour V. Poutine de faire pression sur l’Europe afin d’obtenir cet accord. Poutine a tout à gagner à augmenter la dépendance de l’Europe au gaz russe.

Prix de l’électricité et prix des énergies fossiles, quel lien ?

Le lien qui existe entre les prix de l’électricité et des énergies fossiles est structurel, c’est l’organisation du marché qui crée ce lien. Le marché est construit sur un principe qui reflète une réalité économique datant de 20 ou 30 ans, ce système n’est plus adapté au marché actuel.

Dans chaque pays, il y a une autorité responsable de l’adéquation entre l’offre et la demande en électricité. En Belgique, cette autorité, c’est Elia, qui est aussi gestionnaire du réseau de transport (haute tension). La demande est pilotée par les consommateurs et les industries, et l’offre est pilotée par cette autorité responsable qui ordonne la mise en service des centrales et donc la production. En premier lieu, ce sont les sources de production les moins chères qui sont privilégiées. Si cela ne suffit pas, d’autres sources, plus chères sont sollicitées. Les sources les moins chères sont celles qui produisent de l’énergie renouvelable car étant donné que l’infrastructure est existante, que les coûts marginaux sont très faibles et qu’il ne faut pas acheter de matière première pour produire de l’électricité, la production est bon marché. En dernier lieu, c’est toujours les centrales à gaz qui sont sollicitées car leur flexibilité permet de faire face aux aléas du renouvelable. C’est la dernière centrale utilisée qui fixe le prix de l’électricité au niveau du marché de gros et chaque centrale fixe son prix. Ainsi, puisque le prix du gaz a augmenté, le prix de l’électricité augmente lui aussi. Or, le coût de production de l’électricité n’a pas changé pour les sources renouvelables, cela implique donc d’énormes bénéfices pour les propriétaires de ces infrastructures.

Puisque ce système n’est plus adapté, il faudrait à priori le faire évoluer. Mais l’UE n’est pas favorable au changement car cela perturberait immensément le marché, basé sur des investissements capitalistiques à long terme. Cela équivaudrait à modifier l’ADN du marché énergétique européen.

Pourtant, revoir les mécanismes de marché est fondamental, nous avons besoin de mécanismes plus vertueux et c’est en cela que la transition énergétique est une question sociétale et non simplement une question technique et économique. Le marché seul ne permettra pas de réaliser une transition énergétique, il va falloir tordre le marché pour y arriver.